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beaucoup d’auditeurs, parce qu’il était sûr d’être utile : il avait une foi absolue dans l’histoire. Quelques mois avant sa mort, appelé à faire des conférences à Genève, il eut la satisfaction de parler, avec un succès éclatant, devant un public bien plus nombreux encore que celui de l’Hôtel de ville. Au retour, il disait à ses amis combien il regrettait de voir l’attention du peuple parisien attirée par tant d’objets, parfois indignes d’intérêt, par tant de distractions, souvent peu relevées, combien il déplorait de ne réunir qu’une centaine d’auditeurs et de ne pouvoir donner à ses cours la portée d’un véritable enseignement populaire, pénétrant profondément dans l’âme de la foule.

André Réville alliait en effet à une rare intelligence les plus nobles dons du caractère et du cœur. La pureté de sa vie, l’étonnante sérénité de son humeur, son désintéressement et sa bonté, l’ardeur discrète et constante de ses affections étaient un objet de réelle admiration pour ses parents et ses amis.

Cependant, ce n’était pas à eux seuls qu’il se dévouait. Tandis qu’il était étudiant, il faisait partie d’une société pour secourir les pauvres à domicile. Depuis 1889, il était membre du Comité des anciens élèves du lycée Henri IV, où l’on s’occupe surtout d’œuvres de bienfaisance. Il compta parmi les promoteurs les plus ardents de l’Association des étudiants et fut nommé membre du Comité en 1889. Toutefois, lors des scandaleux incidents qui l’année dernière provoquèrent la démission d’un grand nombre de membres honoraires, et au moment où quelques-uns d’entre eux étaient attaqués par une certaine presse, il n’hésita point à prendre parti : il écrivit au nouveau président qu’il comptait sur lui pour relever l’Association, mais qu’à l’heure présente il voulait se ranger « du côté des bafoués. » Enfin il attachait à son enseignement, nous l’avons dit, une importance sociale, et en recherchant la vérité historique il croyait aussi faire le bien. Ses études lui donnaient d’ailleurs la faculté de connaître des souffrances que trop de gens ignorent, et son amour de l’humanité devenait ainsi chaque jour plus compréhensif, plus éclairé. Né et armé pour l’action, peut-être désirait-il quitter un jour l’enseignement pour servir plus utilement encore la cause qu’il croyait juste ; en tout cas, conscient des maux créés par cette évolution économique dont il connaissait les origines, il avait confiance dans un avenir meilleur et voulait contribuer à le préparer.

En même temps son intelligence s’élargissait, se dégageait