Page:Bibliothèque de l’École des chartes - 1895 - tome 56.djvu/11

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
VILLARD DE HONNECOURT


ET LES CISTERCIENS.


Il est bien rare qu’une question d’histoire ou d’archéologie soit épuisée, et les plus importantes sont rarement celles sur lesquelles il reste le moins à dire.

Mon savant confrère M. Demaison l’a récemment prouvé par son étude si excellente, si instructive et si nouvelle sur les Architectes de la cathédrale de Reims[1].

C’est avec raison qu’il rejette absolument l’opinion qui attribue à Villard de Honnecourt une part dans la construction de ce bel édifice, et, lorsqu’on lit les notes de l’Album, on est même étonné qu’une telle opinion ait pu se produire.

Mais c’est que le besoin qui a fait créer des Évangiles apocryphes et des paroles historiques est éternel ; les érudits n’y échappent point, et plus d’un d’entre eux ne se résigne guère à ne pas se représenter la personne, les pensées et la vie intime des héros de l’histoire.

Pourrait-on donc considérer la noble passion des études historiques comme une sorte de déplacement rétrospectif de cette curiosité qu’excite chez tant de personnes la vie du prochain ? Sans vouloir approfondir une question aussi cruelle, je me borne à constater que, si Villard de Honnecourt est célèbre entre tous les architectes du XIIIe siècle et si on lui a attribué au moins très facilement divers monuments, sa science et son talent y sont pour peu de chose. La véritable raison de la sympathie de la postérité, c’est qu’il lui a laissé un souvenir intime, un lambeau de sa personnalité, alors qu’à peine nous connaissons le nom d’artistes contemporains meilleurs et plus illustres sans doute en leur temps.

  1. Bulletin archéologique, 1894, 1re livraison, p. 3 à 40.