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étant peu avancée, le duc de Lancaster songea à employer les heures de jour qui lui restaient à enlever Manre. Placé sur un éperon, butte avancée le long d’une sorte de défilé qui mène en pente assez douce des monts de Champagne dans la vallée de l’Aisne, le bourg de Manre était avec Cernay, Autry et Attigny une des bonnes forteresses de la région. Pas plus qu’à Cernay, à Autry ou à Attigny, il ne reste de traces de fortifications, mais du moins on montre encore derrière la mairie et le presbytère, en avant de l’église, l’emplacement évident du château. Là, comme à Autry, on voit quelques débris de voûtes qui sont bien probablement contemporaines des événements que je relate.

Bref, quelque fort que fut le bourg de Manre, les habitants n’osèrent pas attendre les Anglais qui entrèrent sans rencontrer personne et purent incendier tout à leur aise ; ils épargnèrent sans doute le château qu’une garnison assez faible pouvait garder ; Eustache d’Auberchicourt s’empressa de la fournir et de conserver cette autre place pour son propre compte. Mais ce n’était là pour lui qu’un moyen d’extraire du pays tout ce qu’il pouvait rendre, et, dès qu’il l’eut pressuré au point de n’en plus rien tirer, il se trouva heureux, comme il le fit pour Autry, de se débarrasser du château à beaux deniers comptants. En effet, le 19 mai 1360, il vendit Manre, en même temps qu’Attigny, au comte de Flandre, alors comte de Rethel[1] ; ce furent les malheureuses populations du comté de Rethel qui, déjà rançonnées par Eustache d’Auberchicourt, durent, par une imposition spéciale, acquitter le prix d’achat qui s’élevait à 25,000 deniers d’or.

Après une journée si bien remplie, le duc de Lancaster retourna devant Reims. Au moment de son départ pour Cernay, on se rappelle que Barthélémy de Burghersh avait assiégé Cormicy (20 décembre 1359). Cormicy était entouré d’une double ceinture de fossés, les murailles étaient solides, au moins au dire de Knighton ; quoi qu’il en soit, le soir même, la garnison dut abandonner la ville et se réfugier dans le château. Celui-ci, élevé au milieu du bourg, était une construction fort bien faite, et le donjon carré était presque imprenable ; les ennemis placèrent au bas des murailles des mineurs qui étaient à l’évêque de Liège ; ceux-ci creusèrent le sol sous le fossé et étançonnaient tout en creusant. Froissart raconte que, après qu’ils eurent miné les murailles de la grosse tour, Barthélémy de Burghersh eut la galanterie de

  1. Froissart, éd. Luce, t. V, p. lxviii, note 8.