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dons toujours le vers de treize syllabes » ; que le secret de ce besoin se placerait ainsi dans la physiologie, parmi les fonctions les plus élevées du cerveau.

Ce besoin, loin d’être, comme le prononce M. Psichari, « une nuance légère, destinée à se perdre facilement », dépend probablement de la grande loi de l’Intermittence[1] qui régit toute la nature animée, et qui embrasse le Rhythme. Si le public (nous vérifierons la justesse de l’assertion tout de suite) ne la pratique plus, cette soi-disant « nuance », les poètes la pratiquent toujours ; oui, les poètes, ces rétrogrades — avec rime et raison, — voient dans cette alternance de la rime féminine, treizième, avec la rime masculine douzième, une condition indispensable du vers ; ils regrettent, ces poètes, que la routine des métriciens ait tellement négligé cette alternance aussi vitale, aussi viable aujourd’hui que par le passé. Or, si ladite alternance reste, en vertu d’un besoin d’acoustique et d’eurhythmie absolument nécessaire à la fin du vers, il n’y a aucune raison — puisque au fond c’est toujours l’e muet qui est sur la sellette — pour n’en pas tenir compte au début ou au milieu.

Mais il y a plus. « Le public ne connaît plus, affirme M. Psichari, la nuance de la rime féminine, treizième syllabe, ou de l’e muet. » Qu’est-ce que M. Psichari entend par public ? Pour ma part, je connais, in globo, quatorze ou quinze millions de Français qui prononcent, comme un seul homme et fortement, tous les e muets au milieu et à la fin des mots, au milieu et à la fin des vers. Ce sont tous les Dauphinois, tous

  1. Je définirais volontiers l’Intermittence : la succession d’un ou plusieurs bruits, d’un ou plusieurs sons, d’un ou plusieurs mouvements, ou groupes de sons ou mouvements séparés par un repos.