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« Plutôt qu’être rongé ? — Je le ferais sans doute ;
« Mais, Blaise, tu le sais, la médecine coûte ! »
L’insensé voulut vivre en dévorant son mal,
Non parce qu’il était réduit à la misère ;
Mais de peur d’appauvrir son unique héritière.

Là, le riche fermier laisse pourrir son grain ;
Il se vend quinze francs, il en demande vingt ;
La récolte venue, il n’en aura, pas douze ;
Car l’avare, souvent et s’aveugle et se blouse.

Ici, le tavernier, peu content de son gain,
Au moyen de l’eau, double et son rhum et son vin.

Ce fermier veut semer, et n’a point de semence ;
Il va chez son voisin, où règne l’abondance,
Lui demande un minot ou de seigle ou de pois :
« Oui, dit l’autre, « pourvu que tu m’en rendes trois,
« Que dis-je, trois ! c’est peu ; tu m’en remettras quatre.
— « Quatre pour un ! bon Dieu ! — Je n’en puis rabattre
« Il est, je crois, permis de gagner sur un prêt.
— « Oui, mais quatre pour un, c’est un fort intérêt. »
Que fera l’homme pauvre ? Il n’a pas une obole :
Il prend le grain du riche et lui rand sa parole.
En proie à la misère, à la perplexité,
Il sème, en maudissant l’avide dureté
De l’homme qui lui tient le couteau sur la gorge,
Pour un ou deux boisseaux de blé, de seigle ou d’orge.

Se laisser follement mourir contre son bien ;
Manger le bien d’autrui, pour conserver le sien
Sont deux cas différents : l’un n’est que ridicule,
Mais l’autre est criminel, et veut de la férule.