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un homme d’honneur

le notaire a augmenté mon salaire aujourd’hui, cette nouvelle lui fera du bien.

— Tu crois ?

Les grands yeux de la jeune fille l’interrogent. Lui baisse son regard. Il veut lui donner un espoir qu’il n’a pas ; mais, il le sent bien, cette vie de privations, d’angoisse, de misère, tue sa mère : c’est pour eux qu’elle s’effraie et elle mourra avant qu’il puisse parvenir à lui rendre le bien-être nécessaire pour ranimer les forces chez cet être brisé.

Au fond de son âme s’élève un sourd grondement de haine, de colère. Jusqu’alors il n’a pas compris la joie de la vengeance ; mais à cet instant d’amère souffrance un désir immense le saisit de punir ses oppresseurs. Il voudrait le voir là, cet avocat cruel. Il voudrait le frapper, le terrasser sous lui, lui crier : Rends-moi ma mère, ou je te tue sans merci. Il comprend à cette heure que les malheureux, exaspérés par la tyrannie des puissants, se portent à des excès de violence terrible, inévitable conséquence du martyr enduré par les faibles, que les sommités du pouvoir ont trop souvent regardé d’un œil indifférent. Quel avantage la société a-t-elle retiré de la vente de leur mobilier ? l’avocat seul en a bénéficié, celui qui avait droit de réclamer quelque chose n’a rien reçu, les frais montant bien au-delà de ce qu’a rapporté la criée de ces meubles, que l’on aimait tant, dont la présence adoucissait l’amertume de leur vie. Oui, c’est l’avocat, plus cruel, plus méchant que l’être sauvage, non civilisé, qui n’a eu égard à rien et avec un cynisme barbare a traîné sa mère aux portes du