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de la ville, deviennent de braves gens, souvent appelés à remplir avec distinction les positions les plus élevées de leur pays ; si avec jugement les parents ont eu à cœur de les faire instruire.

Il se disait : Si j’en avais les moyens j’amènerais une dizaine de familles sur une des immenses terres du Canada, où en cultivant ils pourraient recevoir dans de grandes salles, bâties à cet effet, des cours de culture physique, d’hygiène élémentaire, absolument ignorée de la plupart des Canadiens ; je leur procurerais des distractions, des plaisirs intellectuels, élevant leurs pensées, leurs aspirations vers le bien, le beau, formant leur intelligence afin qu’ils puissent s’intéresser à autre chose qu’à des platitudes, des vulgarités, afin qu’ils soient des citoyens pouvant être utiles à leur pays.

Je voudrais les voir tous en florissante santé ; leur épargner les souffrances que mes chers éprouvent aujourd’hui. Hélas ! pourrai-je un jour réussir ?

À cet instant Armand sentit soudain une main se poser sur son épaule ; en levant son regard, il aperçut avec surprise, à ses côtés, le meilleur, le plus intime ami de son père, Monsieur Morin, parti depuis de longues années du pays, n’en ayant jamais reçu de nouvelles, il le croyait mort.

Était-ce une illusion ; mais avec joie il entendit l’étranger l’interpeller ainsi :

— Pardon, Monsieur, suis-je dans l’erreur, n’êtes-vous pas le fils de mon compagnon d’études, Louis Clairmont ? En vous regardant ainsi absorbé de pensées, ne semblant pas très roses, j’ai cru retrouver dans vos yeux le regard franc et droit de mon plus cher ami, vous me rendrez le plus heureux des hommes en me disant que vous êtes le petit Armand d’autrefois.

— Monsieur Morin, vous ne vous trompez pas, je suis le fils de Louis Clairmont.

Émus tous deux, ils se serrèrent affectueusement la main, car venait de se rouvrir pour eux une page chère à relire.

Après avoir longtemps causé des souvenirs d’antan, Monsieur Morin dit à son jeune ami :

— Combien je regrette vous avoir rencontré si tard, il me faut vous quitter à l’instant, une affaire importante m’appelle, je pars dans une heure pour l’Europe et il me semble que quelque chose vous inquiète, il faut m’avouer tout, je puis vous parler comme je le fais ;

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