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Insensé, d’où viendrait ce pouvoir détestable ?
Dis-moi si c’est de Dieu ; dis-moi si c’est du diable
L’attribuer au Ciel, c’est blasphème, à mon gré ;
Dire qu’il vient du diable, et s’exerce malgré[1].
La volonté de Dieu, ce serait pis encore :
L’un combat la bonté qu’en cet être on adore ;
L’autre abaisse et détruit son suprême pouvoir.
Delà, les mots-sacrés, les cartes, le miroir,
Les dés, les talismans, le sas, les amulettes,
Folles inventions d’ignares femmelettes.
Il est d’autres erreurs moins coupables, au fond,
Mais qui marquent toujours un esprit peu profond,
Un homme peu sensé, parfaitement ignare,
Ou, pour dire le moins, extrêmement bizarre.
Tel, des anciens jongleurs savourant les discours,
Et de l’astre des nuits redoutant le décours,
Pour semer le navet, la carotte ou la prune,
Attend patiemment le croissant de la lune.
La lune, selon lui, fait croître les cheveux,
Rend les remèdes vains, ou les travaux heureux :
Dans son croissant, les vins, les viandes sont plus saines,
Les cancres, les homards, les huîtres sont plus pleines :
De tout, enfin, la lune, en poursuivant, son cours,
Et selon qu’on la voit en croissant ou décours,

  1. Quoi ! va-t-on s’écrier : une préposition à la fin d’un vers, et son régime au commencement du suivant ! Est-ce là une licence poétique ? J’avoue que je n’ai vu cela nulle part dans nos bons poètes ; mais pourtant cela ne me parait pas aussi hardi que le quorum Cumque, et autres licences d’Horace ; et, d’ailleurs, si l’oreille est satisfaite du petit repos qu’on peut trouver, ou mettre, entre malgré et La volonté, pourquoi l’esprit ne le serait-il pas aussi ?