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Il a fermé la porte de sa boutique, où s’entassent, sous une couche épaisse d’ordure, des marchandises sans nom que, lui et ses pareils exceptés peut-être, nul n’oserait retourner qu’au bout d’un crochet. Il y a là des ferrailles, des porcelaines brisées, des morceaux de marbre et de bronze, des tas de chiffons, tout ce qui concerne le métier dans ce qu’il a de plus laid et de plus misérable.

Et, pourtant, si l’on voulait prendre la peine d’écarter les loques, on découvrirait, par ci, par là, quelque merveille de point d’Alençon, quelque guipure couleur de cire, qui ferait rêver une maruise par sa rareté et son âge authentique. Si l’on secouait la poussière de ces petits meubles oubliés, on trouverait encore là de ces incrustations, de ces mosaïques, qu’à première vue l’on prend pour une merveilleuse peinture. Il suffirait bien aussi d’un peu d’eau sur les faïences, pour en faire surgir de magnifiques magots, ou des pagodes aux couleurs inimitables.

Mais Radèze sait-il qu’il possède cès richesses ? Il est assis au milieu de ce capharnaüm, la tête dans les mains, comme un homme qui réfléchit profondément, Devant lui, sur un petit meuble d’ébène, aux incrustations de nacre, recouvert d’un épais tapis de poussière, repose, toutouvert, un livre rempli de chiffres et de signes, connus de lui seul sans doute. Un tas de vieux bouquins lui sert de siése. Une chandelle de suif jaune brûle et coule, la méche étant trop longue, sans qu’il y prenne garde sur le bureau. D’immenses toiles d’araignées pendent en draperies déchiquetées, d’un bout à Pautre des petites poutrelles qui forment le plafond. C’est lugubre ct répugnant.

De temps à autre, Fclix relève la tête, tire à lui le livre où sont les chiffres, et semble s’abimer dans un calcul qui n’est probablement pas celui de sa recette du jour. Autant qu’on peut en juger à

. la lueur du triste et lugubre luminaire du lieu, la physionomie de

cet homme n’a rien de celle d’un idiot. Le front large, légèrement reuflé au-dessus des yeux, dénote une intelligence sérieuse et réfléchie ; les cheveux en désordre sont abondants, incultes, et lorsque la main du travailleur les rejette en arrière, comme si leur poids gênait sa pensée, on s’aperçoit qu’ils sont d’un noir superbe, cçue rappelle un sourcil fin, arqué, à rendre jalouse une coquette. Ses yeux sont également noirs, et quand ils s’égarent à l’extré-