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On rencontrait là, entre autres habitants du quartier, relativement tranquille, — les voitures circulant mal dans cette courbe étroite qui a nom de rue, — des chats galeux, des chiens sans queue et sans oreilles, des poules, des canards et des myriades enfants. Tout cela vivait ensemble et en paix dans ce coin de Paris, que troublaient seuls les gloussements, les miaulements, les aboiements et les braillements des uns et des autres.

Cette musique étrange s’harmonisait avec la tenue des habitants et l’aspect des maisons, dont la plupart semblaient s’élancer hors de l’alignement, comme des cavaliers qui commencent un avant-doux.

Le parfum dominant en ce lieu, que bénissait le ciel, puisque la progéniture s’y accusait prodigieusement nombreuse, était celui de la friture à travers lequel passaient, pour varier, des bouffées d’air infect, sortant de Ia vase des ruisseaux et des égouts.

La profession la plus commune en cette cité, à la fois paisible et bruyante, était celle de bric-à-brac. Est-ce parce qu’elle y paraissait aussi tenir le premier rang ?

Parmi tous ces marchands de choses sans nom, le plus remarquable, ou du moins celui dont nous aurons Ie plus à nous occuper dans ce récit, est un homme auquel il serait difficile d’assigner un âge, tant la couche de poussière qui couvre son énorme tête le déguise bien. Ses voisins lui donnent quarante ans. Soit. La façon dont il vit est de tous les âges : Félix Radèze est le plus sale, le plus noir et le plus original des brocanteurs du quartier.

Il à repris la boutique de père et mère, morts en trois jours du choléra, et il a élevé un jeune frère qu’ils lui ont laissé, avec leur fonds de bric-à-brac. La seule chose que les camarades reprochent à Félix, c’est d’élever son frère en monsieur, en gandin ; il s’est, comme ils disent, saigné des quatre membres pour le mettre au collège, et le jeune homme ingrat — cela devait être — ne vient qu’à de rares intervalles visiter le frère auquel il doit tout. On ajoute que ses visites ont toujours un même but : le besoin d’argent. Aussi ne voit-on jamais le brocanteur, en compagnie des autres, chez le marchand de vin ; il boit de l’eau, mange un morceau de pain, et, de ci de là, un peu de lard. Quand on se moque de lui à ce sujet, il se contente de répondre :