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Le malheureux a fabriqué de faux billets de banque avec trois camarades, dont deux sont déjà arrêtés. Il implore la pitié de son frère aîné et dit qu’il veut mourir.

— Tu vivras, enfant, répond le brocanteur, et tu seras heureux de la façon dont tu veux l’être. Cela sera parce que je t’aime et que je le veux. Tu as soif de richesses ? tu possèderas des millions. Tu as soif de grandeurs ? tu seras le premier parmi les plus riches et les plus honorés.

Son frère le croit fou. Il reprend :

— Battre de la fausse monnaie ! copier de faux billets de banque ! quelle sottise. S’exposer au bagne pour quelques centaines de mille francs, quelle misère !… Moi aussi, je suis batteur d’or faux, je fabrique de la fausse monnaie ! Mais la mienne passe partout, aucun œil humain ne saurait la reconnaître. Ah ! ma fausse monnaie, ajoute-il avec un effrayant éclat de rire, elle circule dans le monde entier, et personne ne la devine. Elle court sur les marches des trônes et se cache dans l’escarcelle des mendiants. Palais et bouges la recèlent, selon les besoins de ceux qui savent l’employer. Ma fausse monnaie est de tous les âges, a cours chez tous les peuples, et fait à l’occasion des lois qui la protègent.

Il achève d’expliquer à son frère sa théorie, et termine ainsi :

— Ma fausse monnaie, jusqu’à ce jour, c’est ma pauvre boutique de bric à brac, mon honnêteté bête et inconsciente. Si je ne passais pour un idiot, je n’aurais pu te sauver tout-à-l’heure.

Sauvé, il ne l’est pas encore. Mais trois jours plus tard, le commissaire de police du quartier reçoit la visite du brocanteur, plus sale, plus cassé, plus stupide que jamais.

Le faux monnayeur, c’était mon frère ! s’écrie-t-il en sanglotant.

En même temps il présente une lettre dans laquelle le jeune homme lui dit que, ne pouvant plus supporter le remords de son crime, il va l’expier en mourant. La lettre est touchante. Le coupable y implore le pardon de son frère.

Le lendemain, les journaux rapportent le fait divers. On a retrouvé le cadavre et Félix Radèze le reconnaît.

Le commissaire de police et les reporters se sont chargés de mettre en circulation la fausse monnaie du brocanteur.

Le prologue se termine sur cette déclaration.

Ce roman, palpitant d’intérêt, de la première ligne à la dernière est, sans contredit, l’œuvre la plus dramatique, la plus émouvante qui ait été écrite de nos jours. Depuis les Mystères de Paris, dépassés ici en hardiesse, nul n’a fouillé la société parisienne, de bas en haut, nul peut-être n’aurait osé y découvrir ce que nous révèle dans Les Faux Monnayeurs au XIXe siècle, l’auteur si légitimement populaire et si connu pour l’audace des conceptions, et la virilité du style : Camille Bias :