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La réputation physique de Mme de Staël dans le grand public est trop souvent, à la fois fâcheuse et injuste. Sur son manque de beauté, beaucoup de ses contemporains, il est vrai, s’accordent. Laide est un refrain qui revient trop souvent lorsqu’elle est introduite sur la scène ; les talons de Bonaparte le scandent d’une façon particulièrement bruyante. Fouché, au nom de son maître, lui lance dans le Journal des hommes libres, l’injure brutale et publique : « Ce n’est pas de votre faute si vous êtes laide, mais c’est de votre faute si vous êtes intrigante[1]. » Quand Lucien demande à Napoléon un peu de bienveillance pour celle qu’il persécute, l’empereur répond brutalement : « C’est trop… Elle est trop laide[2]. » Si l’on peut ne pas accorder de confiance à ces colères de soudard ni à la boutade d’un ami du mari déclarant que M. de Staël a épousé « pour de l’argent, la plus laide fille de France », chez des témoins plus impartiaux, nous trouvons encore le même mot au milieu d’autres plus élogieux. Adressons-nous d’abord à des femmes qui n’étaient pas des rivales. Mme de Charrière, bien avant que Germaine ne connût Benjamin Constant, découvre que la jeune fille a de beaux yeux ; cependant, dit-elle : « Mlle Necker est moins jolie que je ne croyais ; elle est laide[3] ». Miss Burney, pudique Anglaise, ne pouvait croire aux amours de Mme de Staël avec le comte de Narbonne, après avoir constaté : Elle est laide, lui très beau[4]. » Mme de Boigne, avant d’être charmée par la conversation de sa compagne, la déclare laide et ridicule[5]. À côté de ces témoignages, nous pouvons ranger celui du Hanovrien Bollmann ; ému de pitié fraternelle auprès de Mme de Staël que le danger couru par Narbonne faisait trembler, il avoue que le

  1. Journal des hommes libres, 1802, 18 nivôse.
  2. Jung (Th.), Lucien Bonaparte et ses mémoires, Paris, G. Charpentier, 1882-1883, II, p. 233.
  3. Godet (Ph.), Mme de Charrière et ses amis, Genève, Jullien, 1906, in-4o ; I, p. 336.
  4. Arblay (Frances Burney, Mme d’), Diary and letters, London, H. Colbrun, 1842-1846, V, p. 406.
  5. Boigne (Mme de), Mémoires, Paris, Plon, 1909, I, p. 249.