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MADAME DE STAËL D’APRÈS SES PORTRAITS

Germaine, elle, s’en coiffa, à l’imitation de la Sibylle du Dominiquin qu’elle avait admirée pendant son voyage en Italie. Elle en parle elle-même dans son livre de Corinne : « [Corinne] était vêtue comme la Sibylle du Dominiquin ; un châle des Indes tourne autour de sa tête ». On se rappelle que sur le premier Massot, antérieur au voyage d’Italie, Germaine de Staël porte une sorte de toque entourée d’une torsade, sur celui de Mlle Gérard un voile drapé. Mme de Staël se servait aussi de chapeaux pour les courses de tout aller. Le matin où elle accourut pour la première fois chez Mme Récamier afin de conclure l’achat d’une maison, elle portait avec une robe du matin, « un petit chapeau orné de fleurs » qui lui donnait une allure d’étrangère[1]. Le portrait donné à Ribbing et le dernier dessin d’Isabey, nous apprennent que Mme de Staël aimait les jolis souliers. Nous les voyons effilés, carrés du bout, en satin bleu ciel sur le premier tableau, en satin noir, maintenu par des rubans croisés, sur l’autre.

Si elle admettait quelquefois les toilettes de tout le monde, Mme de Staël avait aussi le goûts des déguisements. Nous avons vu quelle passion précoce elle eut pour les costumes d’allure plus antique encore que la mode ne le comportait, passion augmentée par les beaux souvenirs qu’elle rapporta de son voyage d’Italie. Elle était vêtue « à mi-chemin entre la mode et la convention[2] » nous dit Guillaume Schlegel. Nous savons comment Mme Vigée Le Brun la représenta en Corinne, habillée à la Romaine, vêtue d’une tunique blanche complètement décolletée, les manches relevées par une agrafe de métal, enveloppée d’une grande écharpe couleur puce, bordée de palmettes analogues aux décorations des étoffes et des vases antiques, comment dans son tableau de Corinne au Cap Misène, le baron Gérard a costumé son héroïne à la mode latine d’une tunique croisée dans le dos et d’une ample draperie.

Mme de Staël aimait aussi les costumes de théâtre ; elle joua souvent la tragédie. En draperies antiques, elle remplit le rôle de Phèdre et celui d’Hermione ; elle revêtit alors la pourpre royale digne de Racine ; dans la pièce biblique d’Agar, elle joua, enveloppée d’une simple étoffe brune ; en vêtements d’Espagnole, elle figura Alzire l’Américaine[3]. Un Zurichois potinier raconte qu’à un grand bal donné en cette ville à Mme de Staël, elle vint en pantalon couleur de chair bien collé à la peau, recouvert d’une simple gaze, telle qu’on en vit aux danseuses de l’Opéra de Psyché[4].

  1. Lenormant (Mme), Mme Récamier, les amis de sa jeunesse et sa correspondance intime, p. 24,25.
  2. Schlegel (August-Willhelm), Saemtliche Werke, Leipzig, 1846, IX, p. 364.
  3. Kohler, Mme de Staël et la Suisse, p. 466.
  4. Lettre de Montesquiou du 12 novembre 1796, citée par Kohler, Mme de Staël et la Suisse, p. 227.