Page:Bezard - Madame de Staël d’après ses portraits, 1938.pdf/43

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
35
MADAME DE STAËL D’APRÈS SES PORTRAITS

baron Gérard, au contraire, un nez tombant presque aquilin. Le nez n’était peut-être pas parfait, la bouche sûrement plus défectueuse. Carmontelle dessine des lèvres un peu grosses de négresse. La bouche apparaît couleur de cerise et sinueuse, assez épaisse encore chez l’idéale Vigée Le Brun, triste et accusée, la lèvre inférieure avançante dans le portrait du baron Gérard. L’arrondi du visage est figuré assez large dans tous les portraits. Le double menton, annoncé déjà par une courbe grassouillette chez la petite fille de Carmontelle, n’est dissimulé par aucun des peintres de la maturité.

La carnation de Mme de Staël n’est pas vantée en général. À douze ans, son teint était brun d’après Mlle Rillet[1]. À dix-neuf ans elle se plaint elle-même d’avoir perdu sa fraîcheur[2] ; sept ans plus tard, Bollmann lui trouve le teint un peu cuivré[3]. Henriette Knebel parle en 1803 d’un visage noirâtre[4], Mme de Boigne d’une grosse figure rouge sans fraîcheur[5], Mallet d’un mauvais teint[6]. Les peintres reproduisent le teint aux couleurs vives ou fardées. C’est Mlle Gérard et l’anonyme de 1803 qui en ont accentué le plus l’éclat violent. Les cheveux étaient longs et châtains à douze ans[7] ; ils ne s’ajustent disciplinés que dans la haute coiffure de Carmontelle. En 1790, Mme de Staël passait de longues heures chez la marchande de mode qui lui arrangeait les cheveux, si longues que M. de Staël les tenait pour un alibi des rendez-vous avec Narbonne[8]. En 1794, Mme de Staël portait encore des boucles poudrées tombant sur les épaules ; au temps du premier Massot elle a renoncé à la poudre et aux cheveux flottants ; ses bouclettes noires se hérissent comme celles d’un enfant brossé à rebroussepoil. Ce sont bien les « crins noirâtres[9] » dont parle Mme de Charrière, les cheveux noirs et mal arrangés, dont il est question dans les souvenirs de Mallet[10]. Isabey, au contraire, a représenté les longues « boucles ondoyantes » que décrit Guibert[11]. Dans le fusain de Massot, les cheveux apparaissent souples comme si un peu de shampoing les avait rendus plus légers. À la fin de sa vie, Mme de Staël renonce aux cheveux ébouriffés et noués

  1. Comtesse de Pange, Monsieur de Staël, p. 67.
  2. Journal de jeunesse de Mme de Staël, publiée par la comtesse de Pange. Cahier staëlien no 314.
  3. Varnhagen von Ense, Mémoires et mélanges. Lettres de Bollmann, I, p. 190-193.
  4. Blennerhasset (Lady), op. cit., III, p. 16.
  5. Boigne (Mme de), Mémoires, Paris, Plon, 1909 ; I, p. 247.
  6. Souvenirs de J.-L. Mallet, cités par Kohler, p. 622.
  7. Journal de Mlle Rillet, op. cit., p. 67.
  8. Stael (Baronne de), Lettres à M. de Staël publiées par la comtesse Le Marois (Revue des Deux Mondes, 1er juillet 1932, p. 119).
  9. Godet (Ph.), Mme de Charrière, p. 34.
  10. Souvenirs de J.-S. Mallet, cités par Kohler, p. 622.
  11. Guibert, Portrait de Mme de Staël.