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MADAME DE STAËL D’APRÈS SES PORTRAITS

Ce portrait, pourtant, le plus connu de ceux qui représentent Mme de Staël, n’est pas certes le plus flatteur et le plus attachant. Il apparaît pompeux, solennel et d’une facture sèche, glissant comme un mur ripoliné. La tête de Corinne est coiffée d’un turban énorme, le plus épouvantable de tous, un vrai pouf à sofa. La robe puce et criarde, le shall noir n’ont plus la grâce des satins blancs antérieurs. Les traits paraissent à la fois pesants et durcis, les épaules énormes et massives. Étrange contraste ! Le pinceau de Gérard, évocateur charmant des grâces souples de Juliette et de Joséphine, nous a donné le seul portrait où Mme de Staël ait un aspect vraiment hommasse. Ce tableau dont une réplique existe au château de Broglie et que l’on croirait fait pour une Galerie de femmes illustres, s’accommode moins que les crayons de Massot ou de Carmontelle, du charme intime de Coppet. L’année où il fut peint, le graveur Largier le reproduisit à son tour.

À Grevedon[1], peintre des gens de lettres en vue et élégants, on doit un troisième portrait posthume de Mme de Staël, conservé aujourd’hui au musée d’Albi. Le costume du modèle y est singulier, le turban, évasé comme un tronc de cône, semble plus énorme que tous ses jumeaux. Les manches gigot ont déjà une allure Louis-Philippe. Au cou est nouée une écharpe claire à raies.

Il ne suffit pas aux artistes de peindre la femme de lettres en costume de ville ou de soirée. Ils voulurent l’évoquer, incarnant les héroïnes de ses propres romans, en des scènes où ils groupèrent les enfants de son imagination. Une bien curieuse aquarelle de Degeorge[2], peinte en 1810, représente au château de Barante, les adieux d’Oswald à Corinne. Corinne, qui a les traits de Mme de Staël et une mine de souffrance, défaille dans un fauteuil. Ce mince jeune homme en noir, à genoux à ses pieds, c’est Oswald ou plutôt Prosper de Barante, qui fut, pour la romancière, à la fois l’objet d’un sentiment douloureux et le prototype de son héros littéraire. Le père de Barante a ordonné à son fils un raisonnable mariage ; il va s’éloigner mélancolique et soumis[3].

De dimensions autrement considérables, la grande composition académique où Gérard a représenté Corinne au Cap Misène, est sortie

  1. Grevedon (Pierre-Louis-Henri), 1776-1860. Élève des Beaux-Arts et de Regnault, il expose au Salon de 1804 son premier tableau, Achille débarquant sur le rivage de Troie. Il s’acquit ensuite une grande renommée en Russie par ses portraits, passa en Angleterre et rentra en France en 1816.
  2. Degeorge (Christophe-Thomas), peintre, né à Blanzac (Puy-de-Dôme) en 1786, mort, à Clermont en 1854. Élève de David, il peignit des tableaux religieux, historiques et des scènes rustiques.
  3. Cf. Barante (Prosper de), Les amours de Prosper de Barante et de Mme de Staël (L’insurgé, I).