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MADAME DE STAËL D’APRÈS SES PORTRAITS

porte la date de 1812[1]. Le portrait en buste de Coppet est exécuté au fusain estompé, relevé d’accents à la craie, procédé cher à Massot, quand il n’employait pas l’huile. Le turban roulé et plissé en accordéon est posé sur des cheveux assez souples par exception. La poitrine largement décolletée, garde dans la robe de satin blanc un mol abandon. Massot, malgré son idéalisme habituel, a été forcé d’épaissir la délicieuse créature qu’il avait peinte une dizaine d’années auparavant et il fait même reparaître un peu de cette allure populaire que le peintre anonyme avait donnée à la châtelaine de Coppet. Avec ses boucles aguichantes, son sourire de provocante malice, Mme de Staël ressemble ici à une aimable vivandière, à une piquante dame Sans-Gêne.

Le second portrait, peint à l’huile par le même Massot, reproduit une pause analogue (la tête un peu inclinée sur l’épaule droite), un turban façonné dans le même style. À côté des analogies, il y a, entre le portrait à l’huile et le fusain, des différences de dimension et de toilette. Au lieu d’un buste, nous avons un personnage jusqu’aux genoux. Mme de Staël drape un châle sur ses épaules. Les traits de son visage sont plus accentués, l’âge commence à se faire sentir. Ces deux derniers Massot, contemporains d’une émouvante époque, nous rappellent le dernier amour de Mme de Staël. C’est à l’automne de 1810, en effet, que commence la romantique passion de John Rocca, le jeune officier blessé, pour la femme déclinante. C’est à l’automne de 1810 que Mme de Staël va poser chez Firmin Massot[2]. À Rocca s’adressait sans doute le joli sourire des yeux et de la bouche prometteuse, dans ces portraits où la jeunesse survit par la chaleur pénétrante de l’expression.

La persécution pousse maintenant la grande voyageuse sur les chemins de l’exil, les peintres étrangers tiennent à fixer ses traits. C’est en Russie que Mme de Staël fit sa première halte. Le musée de Léningrad conserve une miniature dite « La belle inconnue » qui passe chez les Russes pour être le portrait de Mme de Staël. C’est

  1. Au point de vue de l’iconographie de Mme de Staël, on doit tenir compte, en plus du crayon du Musée des Beaux-Arts et de la gravure de 1812 (Exemplaire à la Bibl. publique universitaire de Genève, Coll. Rigaud, 833), d’une mention dans le Dictionnaire biographique des Genevois et des Vaudois, Lausanne, 1877, in-8o, de de Montet qui attribue à Amélie Munier-Romilly un portrait à l’huile de Mme de Staël.
  2. En plus des œuvres précédemment énumérées de Firmin Massot, nous pouvons citer encore la « Baigneuse », le « Retour du marché », la « Jeune femme à la plume », les portraits de l’impératrice Joséphine, de la princesse de Carignan, de Mme de Beaumont, de M. Albert Turrettini, du syndic Des Arts, du pasteur Picot, de M. et Mme Doxat, de M. et Mme Rigaud-Martin, de Simon Muller, roi de l’Arquebuse, de M. Sonnenberg, de John Campbell, de la femme de l’artiste, de son fils, de sa fille, la baronne de Geer, de Mme Munier, de Mme Danse-Romilly.