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MADAME DE STAËL D’APRÈS SES PORTRAITS

amie. Il avait demandé à Mme Nigris une copie du tableau que Mme Vigée Le Brun terminait. L’affaire traîna longtemps[1]. Deux ans plus tard, il reçut le portrait désiré que Mme de Staël lui offrait elle-même : une miniature analogue à celles qui sont au château de Coppet. L’image chérie arrivait trop tard ; Prosper allait épouser une autre femme ; il envoya un remerciement mélancolique : « Il y a trois jours que votre portrait m’est arrivé avec une lettre assez bonne. Ce don que j’avais désiré depuis longtemps, les tristes circonstances où je le reçois, tout cela m’a pénétré le cœur, l’a ramené vers vous encore plus… Nous unir ? Je ne vous rendrais point heureuse, je ne le serais point[2]. »

Au groupe de portraits exécutés pendant les belles années de Coppet, on peut encore rattacher un dessin qui nous montre, une fois de plus, Mme de Staël dans un parc. Devant la futaie du jardin, près d’un buisson de roses, elle est assise, en robe blanche sur un banc et elle tient une fleur à la main : le turban, l’écharpe, les cheveux frisés sont ceux des reproductions habituelles ; l’originalité et la grâce de ce dessin viennent de son décor floral[3]. Le portrait présumé de Mme de Staël au musée de Lausanne nous semble beaucoup plus douteux. C’est une miniature de L. Comte, né à Payerne, dans le canton de Fribourg, et mort à Naples, qui représente une jeune femme maigre aux yeux bleus saillants ; le Vésuve apparaît à l’arrière-plan.

Les traits de Mme de Staël ne furent pas reproduits uniquement par les peintres. Le sculpteur allemand. Christian-Friedrich Tieck[4], fils d’un cordier, frère du poète Ludwig Tieck, les représenta aussi plusieurs fois dans le marbre, Mme de Staël et Tieck se connurent au cours du grand séjour de Weimar en 1803. Le sculpteur était déjà célèbre, grâce au buste de Gœæthe exécuté en 1801. Quand Mme de Staël pensa à terminer le mausolée qui abritait près du château de Coppet, le corps de ses parents conservés dans l’alcool et où elle désirait dormir aussi un jour, elle commanda à Tieck le bas-relief destiné à le parachever. Longtemps considéré comme une œuvre de Canova, ce morceau de sculpture, grâce à des textes récemment édités, ne peut

  1. Barante (Baronne de), op. cit. p. 320,322. Lettres du 7 février et du 25 avril 1809.
  2. Id., p. 492. Lettre du 3 mars 1811.
  3. Ce dessin a été reproduit par M. et Mme de Sévery dans leur livre : La vie de société dans le pays de Vaud, Lausanne, Bridel, 1912, II, p. 284, avec le titre suivant : Mme de Staël dans sa jeunesse, d’après un crayon appartenant à Mme la Comtesse de Pückler, née de Constant de Rebecque, au château de Mésery.
  4. Tieck (Christian-Friedrich), fils d’un cordier, né à Berlin le 14 août 1776. frère du poète Ludwig, appelé à Weimar en 1801 ; fait le buste de Gœthe ; séjourne en Italie de 1805 à 1808 : s’établit à Munich en 1809 ; professeur en 1820 ; meurt à Berlin, le 14 mai 1851.