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MADAME DE STAËL D’APRÈS SES PORTRAITS

Ce portrait fut payé 1.000 écus par Mme de Staël qui, un peu impatientée par les longueurs de l’artiste, ne voulut pas l’acquitter à l’avance. Un mandat payable le 1er septembre, fut envoyé le 14 juillet à la réception du tableau[1]. Mme de Staël semble avoir été d’abord un peu déçue par l’œuvre tant attendue, si nous en croyons Prosper de Barante. « Je savais bien, écrivait-il, que vous trouveriez ce portrait de Mme Le Brun mauvais et disgracieux[2]. » Mme de Staël changea sans doute d’avis car elle voulut bientôt avoir des copies du portrait.

Mme Vigée Le Brun exécuta à une date indéterminée une réplique à l’huile de son chef-d’œuvre. L’exemplaire aux dimensions les plus importantes fut légué par testament à Mme Necker de Saussure : « Je laisse, disait la mourante, à l’amie que je regarde comme ma sœur, Mme Necker, douze mille francs de France et mon portrait de Mme Le Brun qui est chez elle[3]. » Mme Vigée, elle-même, écrivit dans une note de ses souvenirs lorsqu’elle les publia en 1835, que son tableau est « chez Madame Necker, tante de Madame de Staël[4]. » Ce portrait fait maintenant la gloire du Musée des Beaux-Arts à Genève. Le portrait aux dimensions réduites, aujourd’hui au château de Coppet, revint d’abord au dernier amant avec une phrase de tendresse inscrite au verso : « À mon ami John, ce portrait fait dans ma jeunesse. Plût au ciel que mes premières années [sic] aussi heureuses que les dernières ! »

Dix ans avaient conduit cette femme si riche de vie à la vieillesse prématurée ; auprès du jeune Rocca, compagnon dévoué des heures finales, elle voyait surgir l’amer souvenir des scènes violentes et des inutiles cruautés.

Mme de Staël avait désiré d’autres reproductions encore. Miniatures, gravures étaient alors l’équivalent onéreux de nos multiples exemplaires photographiques. Mme de Staël avait d’abord voulu faire graver l’œuvre de Mme Le Brun : « Quant à la gravure, je m’en charge ici, dit-elle ; ce serait trop retarder le moment où je posséderai le portrait et d’ailleurs, tous nos arrangements sont faits à cet égard à Genève[5]. » Mme de Staël, entraînée par des frais de procédure, dut abandonner ce projet de gravure qui lui tenait au cœur. Le 9 janvier 1809, elle écrit à Mme Nigris : « J’ai renoncé, Madame, à la gravure du portrait de Madame votre mère ; c’est trop cher pour une

  1. Vigée-Lebrun (Mme), Souvenirs, II, p. 194.
  2. Barante (Baronne de), Lettres de Claude-Ignace de Barante… de Mme de Staël… de Prosper de Barante… Clermont-Ferrand, Imprimerie moderne, 1929, p. 341. Lettre du 27 juillet 1809.
  3. Kohler, op. cit., p. 672.
  4. Vigée-Lebrun (Mme), Souvenirs, Il, p. 193.
  5. Vigée-Lebrun (Mme), Souvenirs, II, p. 194. Lettre (dite du 16 septembre 1807).