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MADAME DE STAËL D’APRÈS SES PORTRAITS

d’Hermione. Au début du mois de septembre, elle était venue rechercher et avait ramené de vive force l’amant lassé, réfugié à Lausanne chez sa cousine de Constant[1]. Celle qui criait ses reproches de jalouse et qui se roulait aux pieds de son amant en révolte, trouvait encore la grâce de sourire devant ses hôtes et devant son peintre. La jolie frimousse aux yeux clairs cherchant l’inspiration, pouvait encore séduire ; c’est la rage du joug seulement qui faisait donner par Benjamin Constant à son amie-ennemie, l’épithète d’homme-femme ; on comprend que le peintre de Marie-Antoinette ait pu négliger le charmant modèle qu’elle trouvait dans la personne de Mme Récamier et qu’elle ait préféré la figure passionnée de Corinne la tragédienne.

Mme Vigée Le Brun ne termina pas à Coppet l’ébauche qu’elle y avait commencée. Elle emporta le portrait à Paris pour le parachever ainsi qu’elle en convient avec son modèle dans une lettre dont nous devons la communication à l’extrême obligeance de la comtesse d’Haussonville :

« Je ne veux pas, Madame, laisser partir notre intendant sans me rappeller a votre souvenir ; j’allais justement vous écrire pour vous assurer encor des regrets bien sincères que j’ai éprouvé en vous quittant, mais j’avais promis à Mme de Bellegarde d’aller passer quelques temps à leur château des Marches[2], ce qui a retardé mon retour à Paris. J’ai eu bien soin de votre Corine ; elle est arrivée à bon port et je vous assure que le tableau est et sera un de mes favoris. Il ne m’aura procuré que du bonheur sans peine, mais aussi je vous promets que j’y mettrés tous mes soins pour le bien terminer car il faut qu’il soit le plus possible digne de son original : votre intendant, Madame, m’a fait part de ce que vos amis désirent dans le fond du tableau, le temple de Tivoli et les cascatelles au lieu du golfe de Naple que je voullois faire dans le lointain. Je vais y réfléchir. Comme j’ai fait l’un et l’autre d’après nature, si cela peut s’arranger avec la composition et les lignes que donne l’attitude, je ferai de prefference ce que vous désirez ; n’en doutez pas. J’attend aujourd’hui ou demain le tableau que j’ai envoyé pour regrandir en bas et des deux côtés, ce qui est une opperation qui a demandé un soin extrême et du temps, mais de suite je m’en empare et ne vous quitte pas ; tout le monde attend ma Corine avec une impatience extrême ; quelles que personne de mes amies l’ont entrevue à son déballé. Ils vous ont reconnu et j’ose le dire ils en sont déjà charmés. L’expression vous rapelle de toute manière. À dire vrai, il ne falloit pas vous peindre comme tout

  1. Achard (Lucie), Rosalie et Constant, II, p. 318-323. Lettres de Rosalie de Constant du 7 août, 13 août, 8 septembre.
  2. Le château des Marches en Savoie, arr. de Chambéry, cant. de Montmélian.