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MADAME DE STAËL D’APRÈS SES PORTRAITS

satin blanc à deux jupes fait songer à une toilette de mariée. Mme de Staël, qui a l’air d’une toute jeune mère, entoure de son bras la ravissante petite Albertine au doux visage languide, vêtue elle-même d’une robe en gaze azur, coupée de bandes soyeuses.

Le grand portrait exécuté par Mme Vigée Le Brun[1], évoque encore la même jeune et douce figure au nez mutin ; les cheveux noirs envolés s’écartent sur le front blanc qui semble attendre un baiser. Mme Vigée Le Brun estimait que son modèle n’était pas joli mais que l’animation de son visage pouvait lui tenir lieu de beauté ; elle chercha avant tout à soutenir son expression en lui faisant réciter des vers de Corneille ou de Racine[2]. Mme Vigée Le Brun nous dit elle-même dans ses Souvenirs : « J’ai passé une semaine à Coppet chez Madame de Staël ; je venais de lire son dernier roman, Corinne ou l’Italie ; sa physionomie si animée et si pleine de génie, me donna l’idée de la représenter en Corinne, assise, la lyre en main, sur un rocher ; je la peignis sous le costume antique[3]. » Mme de Staël est vêtue, en effet, d’une tunique blanche et drapée dans un manteau couleur capucine, bordé de palmettes noires, au dessin renouvelé des vases grecs. Elle tient à la main une immense lyre dorée, pansue, timbrée d’un soleil. Les frondaisons de Coppet ne sont plus évoquées à l’arrière-plan, mais les hautes montagnes du Latium traitées à la manière de Léonard et le temple rond de Tivoli sur le sommet abrupt. Mme Le Brun avait rêvé d’abord d’y représenter le « golfe poétique de Naples. » Mme de Staël, conseillée par d’autres amis, imposa le paysage du Latium.

Les critiques ne sont pas d’accord sur l’année où fut commencé ce portrait. Les uns, tels que Pierre de Nolhac, Charles Pillet, datent de 1808 le premier séjour de l’artiste à Coppet, suivant les indications des Souvenirs de Mme Vigée Le Brun[4]. La lettre VI qui évoque cette saison fait partie, en effet, du Voyage en Suisse en 1808 et 1809, série de lettres adressées à la comtesse Vincent Potocka, née Massalska[5]. M. Kohler estime, au contraire, qu’il y a là une erreur

  1. Vigée-Lebrun (Élisabeth-Louise), née à Paris, le 16 avril 1755. Fille du peintre Louis Vigée, elle épousa très jeune le marchand de tableaux Lebrun dont elle eut une fille. On sait quel grand portraitiste elle fut. Elle représenta plus de vingt fois Marie-Antoinette, peignit aussi les Enfants de France, Mme Élisabeth, la comtesse d’Artois. Quand la Révolution éclata, elle se rendit d’abord en Italie, puis elle voyagea dans toute l’Europe, continuant à exécuter de nombreux portraits. En 1802 elle rentra à Paris. En 1835 elle publia ses souvenirs. Elle mourut le 30 mars 1842.
  2. Vigée-Lebrun (Mme), Souvenirs, Paris, Bibl. Charpentier, II, p. 193.
  3. Ibid., p. 193.
  4. Nolhac (Pierre de), Mme Vigée-Lebrun, peintre de Marie-Antoinette, Paris, Goupil, 1912 ; Pillet (Charles). Les artistes élèbres, Mme Vigée-Lebrun, Paris, librairie de l’Art, 1890, in-8o.
  5. Vigée-Lebrun (Mme), Souvenirs, II, p. 173,193.