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MADAME DE STAËL D’APRÈS SES PORTRAITS

sans doute, appuyé contre une balustrade de marbre, près du buste de son père. Un ciel d’orage et d’éclairs s’ouvre derrière elle ; à l’horizon s’estompe un bois, analogue aux lointains de Watteau. Mme de Staël apparaît ici, plutôt forte, sous un aspect campagnard et rustique sa poitrine grasse et découverte, soutenue par un lien très mince, a l’air de baigner dans une cuvette, ressemblance due à l’étoffe de la robe soie crème, semée de petites fleurs jaunes qui rappelle la facture des porcelaines de Nyon. Ses cheveux sans coiffure et fouettés par le vent d’orage, ressemblent à ceux d’un enfant qui se serait brossé à rebroussepoil ou à ceux d’une jeune bergère qui vient de se rouler dans la paille. Le teint est vivement coloré ; le portrait fut peint, au temps où Rœderer, dans une allusion désagréable, parlait de ces femmes qui sont grandes, grosses, grasses, fortes ; leur figure, disait-il, enluminée de trop de santé, n’offre aucune des traces que laissent toujours après elles les peines qui viennent du cœur[1]. » Ce visage, au nez rond et court, aux joues déjà délimitées par une ride commençante, ne manque pourtant pas d’une certaine grâce juvénile, surtout si on la regarde par en dessous ; on découvre alors une douce figure de jeune fille aux commissures délicates, au mélancolique regard, charmante encore pour une femme de trente-neuf ans.

Pendant son voyage de 1805 en Italie, Mme de Staël fit la connaissance de l’artiste allemande Angélika Kauffmann qui la dessina. Le portrait exécuté alors, appartenait, en dernier lieu, au comte Primoli qui le légua par testament à la comtesse de Pange, arrière arrière-petite-fille de Mme de Staël. Il a malheureusement été égaré par les exécuteurs testamentaires.

D’une époque un peu postérieure, doit dater un portrait dû à Marguerite Gérard[2], la belle-sœur de Fragonard, peintre délicieux des féminités du XVIIIe siècle, gardé au château de Coppet. Mme de Staël est représentée ici dans sa joie maternelle ; on peut dater ce tableau, grâce à l’âge d’Albertine, née en 1797 et qui paraît avoir huit à neuf ans. Le visage de Mme de Staël est plus allongé et plus fin que sur le tableau anonyme, les joues aussi rouges et comme passées à la cire. Les cheveux légèrement collés dépassent une draperie de mousseline, annonciatrice des fameux turbans. La robe de

  1. Rœderer, Œuvres, Firmin-Didot, 1856 ; IV, p. 318 ; art. de Fiévé, 1803.
  2. Gérard (Marguerite), peintre français ; née à Grasse d’un distillateur en 1762, morte à Paris en 1837. Belle-sœur et élève de Fragonard. Elle subit l’influence de Debucourt, de Boilly, de Terburg, peignit de nombreuses scènes familiales : Le premier pas de l’enfance, La leçon de dessin, Deux jeunes époux lisant leurs lettres d’amour, Le Présent, L’Élève intéressante, Dors mon enfant, Le Triomphe de Raton, etc. Marguerite Gérard obtint, sous le Consulat, sous l’Empire et sous la Restauration, une vogue durable. Elle peignit les portraits de Tallien et de Mme Récamier.