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MADAME DE STAËL D’APRÈS SES PORTRAITS

l’une, surmontée d’un huit en torsade, le profil charmant de l’autre, ses volantes boucles brunes qu’enserre un mince turban, son cou serré très haut par un col en mentonnière, son neigeux capuchon blanc rabattu sur les épaules. Ce Genevois de naissance[1] qui voyagea dans sa jeunesse en Italie et subit à travers son ami Agasse, l’influence de l’Angleterre, a laissé quantité d’autres images ; on cite, entre autre, parmi ses œuvres de jeunesse, une Brodeuse, aux yeux noirs et aux joues vives, une Liseuse, coiffée d’un bonnet à la Charlotte Corday et la frimousse de Mlle Mégevand, sa belle-sœur. Chassé de Genève par les troubles révolutionnaires, Massot auquel s’intéressait Mme Necker, fut recueilli par elle dans le canton de Vaud en 1794. La bonne châtelaine l’aida à se marier[2] et lui procura des commandes. Il la peignit à cette époque et sa fille un peu plus tard. Ce portrait de Mme de Staël, jeune femme, ne dépare pas la galerie des ravissantes effigies que nous a laissées le pinceau du peintre genevois[3]. Intermédiaire entre les images de l’âge ingrat et celles de la lourde maturité, il représente une svelte créature qui n’a pas encore atteint la trentaine. Le visage est ovale et fin, le nez délicat, les yeux clairs, l’expression douce de mélancolie et de rêve. La lèvre inférieure un peu épaisse de la bouche au tendre sourire, nous dit bien qu’il s’agit là de Germaine de Staël. Le cou est très fin, la poitrine réduite. La jeune femme est vêtue d’une robe en satin blanc ; un biais étroit passe sous les seins ; des liens rattachent les bouillonnés des manches et de la poitrine. Sur les boucles noires et ébouriffées en coups de plumeau, est posée une toque de satin un peu lourde, barrée de biais en diagonale, première esquisse des fameux turbans. Un gland tombe sur l’épaule, un shall descend sur les genoux. Les bras s’abandonnent sur l’appui raide du fauteuil… déroutante et troublante esquisse digne de Prudhon, délicieux visage que nous ne reverrons plus et qui dut être vrai un jour puisque Massot n’osa pas le répéter identique, plus tard.

La sveltesse de Mme de Staël passa bien vite et nous n’avons plus désormais d’elle que des images alourdies. Elle est assez belle encore dans le dessin à la sépia d’Isabey[4] daté de 1797 et conservé au Musée

  1. Massot (Firmin), né à Genève le 5 mai 1766. Son père André Massot était horloger. Il fut emmené en Italie par le conseiller Jallabert.
  2. Massot épousa Louise Mégevand, le 25 avril 1795. Il rentra à Genève en 1798.
  3. Ce portrait, qui appartenait au comte d’Haussonville, a été reproduit, pour la première fois, par lui dans la Revue hebdomadaire du 4 avril 1914.
  4. Isabey (Jean-Baptiste), peintre miniaturiste français, né à Nancy en 1761, mort à Paris en 1855. Élève du miniaturiste Dumont, puis de David. Entré en relation avec la famille Bonaparte, il exécute son Portrait du général Bonaparte dans les jardins de la Malmaison, sa Revue passée par le Premier Consul, devient le maître de dessin de Marie-Louise. Il exécute entre autres œuvres trente-