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MADAME DE STAËL D’APRÈS SES PORTRAITS

Le sentiment dont je vis à jamais
Et ce portrait jusques dans ma vieillesse
Doit ressembler en dépit de mes traits,
Si pour Adolphe il a peint ma tendresse.

Décembre 1794.


Mme de Staël fait allusion ici à l’admiration qu’elle avait éprouvé pour Ribbing quand elle avait lu, avant de le connaître, la lettre du condamné à sa mère.

Le portrait et la lettre en vers furent pieusement gardés par Ribbing qui se fixa à Paris en 1796, s’y maria en 1799 et devint finalement rédacteur au Courrier français. Il écrivait tous les jours son article de politique étrangère, entre six et sept heures du matin, se promenait ensuite dans son jardin et s’occupait à des passe-temps bien inoffensifs pour un ancien régicide ; il s’amusait à donner à manger un morceau de sucre à une rose un jour où Alexandre Dumas vint le trouver et c’est Dumas lui-même qui croque ce tableautin dans ses Mémoires[1]. Le futur auteur d’Antony écrivit deux vaudevilles en collaboration avec le fils de Ribbing ; l’amitié fut telle entre les deux hommes que le jeune Ribbing de Leuven légua plus tard à Dumas fils sa maison de Marly-le-Roi et le portrait de Mme de Staël. Si l’éloquente Germaine avait pu prévoir le surprenant destin de son portrait, elle aurait été ravie qu’il présidât aux conversations éblouissantes jaillies entre Dumas fils et Victorien Sardou. La jolie gouache appartient aujourd’hui Mme Geneviève Sienkiewicz, filleule de Mme Alexandre Dumas, à qui nous en devons la très aimable communication.

La seule chose que nous ignorions est l’auteur du tableau dont il existe à Coppet un abrégé en bijou : miniature broche reproduisant les longs cheveux bouclés et poudrés, la robe blanche, la ceinture bleu clair. La gouache, exécutée au temps du séjour à Mézery, fut — sans doute l’œuvre d’un de ces charmants peintres qui étaient la parure de Genève. Deux d’entre eux : Agasse et Massot étaient alors réfugiés à Lausanne. Firmin Massot qui devait pendre Mme de Staël quelques années plus tard, a-t-il donné d’elle, dès 1794, une première image ?

Germaine eut, en effet, le bonheur de rencontrer ce délicieux peintre de la femme qui fut le Reynold de la Suisse[2]. Quel premier visiteur du musée de Genève ne s’est pas arrêté, saisi d’un étonnement ravi devant le portrait des dames Tœpffer ? On aimerait à revenir contempler souvent la fine tête, blonde et maigre de

  1. Dumas (Alexandre), Mémoires, Paris, Lévy, II, p. 215, VI, p. 79, VII, p. 109.
  2. À propos de Massot, lire : Baud-Bovy, Peintres genevois. Genève, éd. du Journal de Genève, 1904, Mallet d’Hauteville, Souvenirs des séjours de Me de Staël à Genève (Bibliothèque Universelle, 1860).