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MADAME DE STAËL D’APRÈS SES PORTRAITS

bleu, baignée par la suave lumière de la côte vaudoise, représente Mme de Staël assise dans un paysage de féerie, sous un chêne dont le feuillage s’estompe dans un brouillard roux, à côté de plantes aux larges feuilles d’azur et de célestes campanules aux tiges démesurées. La jeune femme est blanche et bleue comme le parc enchanté qui l’entoure : longs cheveux blancs, poudrés et bouclés, tombant sur les épaules, robe de mousseline, blanche et décolletée, ceinture de taffetas bleu aux coques bien dressées, souliers en soie bleue. Le visage rose sourit, la bouche est presque moqueuse, le buste se renverse, la jambe gauche se balance, elle va lancer bien loin la petite pantoufle. Ah ! que la vie est ennivrante et belle et riche et variée ! Germaine a sauvé toute une nichée de proscrits ; maintenant Robespierre est mort et la Terreur s’en va comme le roulement de tambour de plus en plus assourdi d’une armée qui s’éloigne, mais les fugitifs ne sont pas encore en sécurité, ils ont toujours besoin de leur protectrice. Narbonne est souvent ingrat et volage, Benjamin n’est encore qu’un passant rencontré sur la route de Nyon, mais Adolphe de Ribbing, le beau Suédois qui aide Germaine de Staël à sauver les émigrés français, lui donne tous les ennivrements d’un nouvel amour[1]. Jamais aucune histoire n’a autant passionné son âme de femme et de romancière que celle du conspirateur suédois[2]. Ce presque assassin qui cerna le roi Gustave III avec ses complices, un soir de bal, ce banni qui fut un jour condamné à mort, a fait vibrer en elle des notes obscures et puissantes. C’est pour lui qu’elle a commandé la gouache azurée.

Quand on examine le portrait à la loupe, on parvient à déchiffrer une lettre que Mme de Staël tient dans sa main droite :

Adolphe à sa mère.
Mars 1792.
Ah ! Si vous pouviez
Moins me regretter.

Derrière le tableau, on a encadré le billet autographe que Mme de Staël envoya à Ribbing avec son portrait :

Ce noble écrit dans mon esprit gravé
M’intéressoit avant de te connoître,
En te voyant mon cœur t’a retrouvé.
Dans ce tableau, vois l’instant qui fit naître

  1. Cf. Une correspondance inédite de Mme de Staël. Lettres à Nils von Rosenstein. (Revue bleue, 1905, p. 706).
  2. Ustéri (Paul) et Ritter (Eugène), Lettres de Mme de Staël à Henri Meister, Paris, Hachette, 1903, p. 113.