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MADAME DE STAËL D’APRÈS SES PORTRAITS

Germaine Necker est représentée à l’âge de treize ans environ. Elle a été exécutée, par conséquent, aux entours de 1780. Necker, directeur des finances, était alors à l’apogée de sa carrière ; les invités de distinction se pressaient dans le salon de Mme Necker. L’enfant est représentée, le buste raide, avec le maintien un peu guindé que les usages mondains lui imposaient quand elle recevait à côté de sa mère, toute « droite sur un petit tabouret » et que les vieux philosophes lui baisaient la main[1]. Cette raideur est peut-être attribuable aussi en partie à l’art un peu sec de Carmontelle qui nous a laissé une Julie de Lespinasse de profil, pareille à une poupée de bois. La petite Germaine revenait sans doute lorsqu’on la portraitura de cette saison de Saint-Ouen où elle était allée reposer en compagnie de son amie Mlle Huber, sa jeune tête surmenée[2]. L’enfant semble encore assez mal développée et n’annonce pas la femme aux formes amples qu’elle sera plus tard. La tête au crâne un peu vaste, agrandie encore par une énorme coiffiure, paraît tout à fait disproportionnée si on considère le buste grêle, serré dans un corps baleiné. Les épaules remontées, le torse qui bombe, donnent presque une vision d’infirmité ; on soupçonne encore cette grosseur de l’épaule droite dont parlait Mme d’Houdetot lorsqu’elle veillait sur la toute petite fille et qui dut s’effacer après la fin de sa croissance[3] ; les bras sont maigres encore, les mains à peine esquissées. Seule la figure est vivante. Malgré un type un peu nègre, aux grosses lèvres, au nez légèrement retroussé, les beaux yeux aux longs cils, les joues rondes, une grâce enfantine, douce et potelée, la rendent délicieuse à regarder. C’est presque le seul portrait où Germaine soit représentée avec un costume d’Ancien Régime : pouff de mousseline à petits pois qui prolonge le bouffant en proue de navire, grosses boucles poudrées, natte rattachée par un ruban sur la nuque, fichu Marie-Antoinette en mousseline, ourlé, plissé, orné d’un feston et de pois en plumetis, guimpe intérieure garnie de plissés, bouquet de fleurs au croisé, robe de soie, ruches plissées à double volant sur le busc, au coude et sur les coutures de la robe.


La seconde effigie de Germaine Necker nous est offerte par elle-même dans une aquarelle de Coppet que la jeune fille exécuta, un ou deux ans après le portrait de Carmontelle. Le dessin en est d’un réalisme curieux et un peu gauche. Nous y retrouvons le même profil que dans la sanguine, des joues rondes aux légères bajoues, un nez un peu relevé. Un ruban bleu tourne autour de la tête ; des grosses bou-

    Royal Dragon ; exécute quantité de dessins à la Cour du duc d’Orléans qui sont aujourd’hui conservés à Chantilly.

  1. Necker de Saussure (Mme), Notice sur le caractère et les écrits de Mme de Staël, Paris, 1820, in-8°, p. 25-27.
  2. Ibid., p. 30.
  3. Haussonville, Le salon de Mme Necker, Paris, Lévy, 1882, I, p. 27.