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MADAME DE STAËL D’APRÈS SES PORTRAITS

Cependant, il nous semble que, par surcroît, Germaine de Staël devait posséder un charme physique véritable, une sorte de beauté. Certains témoins nous le font croire, opposés à ceux qui, plus nombreux, nous l’avons dit, ne nous ont parlé que de sa disgrâce. Fersen, ayant aperçu la jeune fille au passage, avouait que sa figure n’avait rien de désagréable[1]. Gœthe, un jour de favorable justice, était d’avis que : « Sa personne avait quelque chose de ravissant au point de vue physique comme sous le rapport intellectuel et [qu’] elle paraissait n’être point fâchée qu’on n’y fût pas insensible[2]. » À force de regarder ce visage, disgracieux au premier moment, on finissait par le trouver beau : « Son visage aussi m’est agréable et plus on le considère, plus il plaît, avouait Charlotte de Stein[3]. » Le Genevois Sismondi, ami fidèle, compagnon fréquent de voyage, insiste surtout sur le charme féminin, qui, à son avis, se dégage de cette personnalité, à laquelle on accorde généralement plus de vigueur que de grâce : « Je sais bien qui est la femme toujours femme, même lorsqu’elle est éloquente comme un orateur ou profonde comme un philosophe, ou inspirée comme un prophète et je sais bien aussi comme on l’aime, comme on l’aimera toujours[4]. »

Ce charme physique de Mme de Staël ressort aussi, il nous semble, de l’examen de ses portraits. À ce point de vue, on la juge trop souvent sur le plus connu, celui du baron Gérard, image posthume qui ressuscite la femme de cinquante ans. Pour se faire une opinion équitable, il vaut mieux regarder les nombreuses images qui la représentent en ses belles années. Malgré les doutes qu’elle avait, elle-même, au fond de son cœur sur les mérites de son physique et qu’elle avoue ingénuement dans son journal de jeune fille, en soupirant sur sa figure[5], Germaine de Staël se fit peindre plus d’une fois. Tous ces portraits présentent un vif intérêt ; même si on fait la part de la flatterie, ils ont des traits communs et quelques-uns d’un aspect plus réaliste, ne sont eux-mêmes pas dépourvus d’attrait. Le plus ancien est une sanguine de Carmontelle [6], conservée au château de Coppet, où la petite

  1. Sœderhjelm (Alma), Fersen et Marie-Antoinette, Paris, Kra, 1929, p. 80.
  2. Gœthe, Annales ou notes pour servir de complément à mes confessions, cité par Lady Blennerhasset, Mme de Staël et son temps, III., p. 68.
  3. Duentzer, Charlotte de Stein, Stuttgart, II, p. 192.
  4. Salis (Jean de), Sismondi, Paris, Champion, 1932, in-8°, p. 192.
  5. « On me reproche aussi, ce ne sont pas les jeunes gens, mais les vieillards, d’être trop occupée de ma figure : quant à ce défaut j’aurai un peu plus de peine à m’en tirer : il n’y a point d’armes contre le ridicule. Cependant j’ai été moins mal que je ne suis et je n’ai que dix-neuf ans : ces changements si prompts, dont les mouvements trop vifs de mon âme ont été cause, m’ont fait quelque temps de la peine et l’espérance du retour de cette fraîcheur qui me caractérisait dans mon enfance a fixé mon attention. » (Journal de jeunesse de Me de Staël, publié par la comtesse de Pange. Cahier staëlien n° 3/4.)
  6. Carmontelle, 1717-1806, né à Paris, accompagne, en 1759, le régiment de