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HENRY BATAILLE

Dire que c’est ici que vous m’avez menée !…
Voilà ma vie. Et vous ?… — Oh ! moi,…
Tu ne comprendrais pas, tu es bien trop jolie.
Chut ! ne dis rien, tais-toi… je te vois, je te vois
À travers tes yeux d’eau que le ciel a remplis,
Je te vois à travers ton front où j’ai soufflé,
À travers ta souffrance et ta simplicité,
Je te vois, je te devine, tu es là,
Dégantée à jamais pour mes mains entr’ouvertes,
Et du geste divin de la tristesse offerte
Tu as ramené toute l’ombre sur nous deux…
Allons, on peut entrer maintenant ? — Si tu veux.

{Le Beau Voyage. Fasquelle.)

LA FONTAINE DE PITIÉ

Les larmes sont en nous. C’est la sécurité
des peines de savoir qu’il y a des larmes toujours prêtes.
Les cœurs désabusés les savent bien fidèles.
On apprend, dès l’enfance, à n’en jamais douter.
Ma mère à la première a dit : « Combien sont-elles ? »

Des larmes sont en nous et c’est un grand mystère.
Cœur d’enfant, cœur d’enfant, que tu me fais de peine
à les voir prodiguer ainsi et t’en défaire
à tout venant, sans peur de tarir la dernière.
Et celle-là, pourtant, vaut bien qu’on la retienne !

Non, ce n’est pas les fleurs, non, ce n’est pas l’été
qui nous consoleront si tendrement, c’est elles.
Elles nous ont connus petits et consolés.
Elles sont-là, en nous, vigilantes, fidèles.
Et les larmes aussi pleurent de nous quitter.

{Le Beau Voyage. Fasquelle.)

NOCTURNE

Sur le banc vert où dort la pluie,
C’est là que va s’asseoir ma peine,