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RENÉ GHIL

lecture et celui de la musique. Le seul défaut de cette méthode, c’était qu’elle était complètement irréalisable. M. René Ghil lui-même avait modifié les théories de Rimbaud. Chaque lecteur pouvait à son tour modifier les siennes suivant son propre sens visuel et son propre sens auditif. Où le poète voyait rouge et voulait faire entendre des cuivres suggérant des idées de gloire et de luxe, il pouvait très bien voir gris et n’entendre qu’un accordéon lui évoquant des idées de vie provinciale. On aboutissait ainsi à une poésie qui n’était compréhensible que pour son auteur. Cette découverte orchestrale n’en fit pas moins quelque bruit à l’époque. Les journaux les moins coutumiers d’articles littéraires, en France comme à l’étranger, voulurent dire leur mot sur la question, les uns pour vanter, les autres pour dénigrer. Il en fut de même chez les jeunes écrivains, dont les uns prirent parti pour les théories instrumentistes, les autres contre. Ce fut un vrai concert d’éloges et de railleries. Cependant, M. Rene Ghil, gardant toute mesure, travaillait à améliorer son Traité du Verbe, et l’année suivante, en 1887, il en publia une nouvelle édition, dans laquelle il définissait plus complètement sa méthode de l’instrumentation verbale. Cette publication fut suivie la même année de la fondation, par M. Gaston Dubedat, des Ecrits pour l’Art, une petite revue qui devait grouper, sous le bâton de M. René Ghil, les jeunes poètes partisans des théories instrumentistes. Puis, en 1888, M. René Ghil publia une troisième édition du Traité du Verbe, encore revue et augmentée : l’augmentation consistait même en une nouvelle innovation. Le poète n’était plus seulement doublé d’un musicien, il devenait aussi un savant, et dans un exposé aussi harmonieux que clair M. René Ghil définissait complètement cette fois-ci la philosophie de son œuvre, laquelle partait du transformisme et donnait comme base à l’idée poétique l’idée scientifique. Ainsi se trouva créée par le génie novateur de M. René Ghil et son habileté à réunir les mots les moins faits pour être assemblés la Poésie scientifique, faite des couleurs des voyelles, des correspondances des syllabes avec des sons d’instruments, et des mystères les plus attrayants de la biologie, de l’histologie, de la chimie, de la sociologie, etc., etc. Enfin, en 1889, M. René Ghil passant de la théorie à la pratique, commença l’œuvre qu’il avait annoncée. Cette œuvre, sous le titre tout simple d’Œuvre, se divise en trois parties : Dire du Mieux — Dire des Sangs — Dire de la Loi. La première est achevée complètement avec cinq livres : Le Meilleur Devenir, Le Geste ingénu, La Preuve égoïste, Le Vœu de Vivre et L’Ordre Altruiste, formant ensemble huit volumes. La deuzième partie a été commencée en 1898 avec un premier livre : Le Pas humain, formant un volume. Elle se continuera par quatre autres livres ; Les Génitures, Les Sens nouveaux,