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le débutant

demi sauvage, des mœurs grossières, un mépris jaloux de la femme, puisé dans les lupanars de Rossland. Huit années durant, elle dût subir ses brutalités, se résigner à une surveillance blessante de la part de cet époux soupçonneux et morose. Il n’y avait que lorsqu’il faisait la fête avec quelques mineurs revenus de là-bas, rentrant toutes les nuits ivre-mort, pendant huit ou quinze jours, qu’elle jouissait d’un peu de liberté. Frappé d’un coup de sang, à la suite de l’une de ces orgies d’alcool, il mourut, subitement et ce fut la délivrance. Il y avait près de quatre ans de cela, et résolue de conserver une liberté si chèrement acquise, elle s’était toujours gardée de tous ceux qui lui avaient fait la cour, pour le bon ou le mauvais motif. C’est que, jusqu’à l’époque où elle rencontra Paul Mirot, elle ignorait l’ivresse, à la fois douce et poignante, qui s’empare de l’être sincèrement épris.

Et, maintenant, elle l’adorait ce jeune homme à moustache blonde, dont la cervelle était remplie de rêves tendres. Ce grand enfant, aux prises avec la vie, lui avait tout de suite inspiré de l’intérêt. Il était venu la voir en ami, comme elle l’y avait engagé à leur première rencontre. Elle se fit d’abord maternelle, lui donna des conseils, puis, un jour, sans savoir pourquoi ni comment, comme dans la chanson, elle changea de rôle. Ce fut elle qui, un soir, provoqua les premiers aveux du journaliste, en lui laissant pressentir son émotion alors que silencieusement, respectueusement, il appuyait ses lèvres sur la main qu’elle lui avait abandonnée.

Dans la demi obscurité couvrant d’ombre les meubles et les bibelots du petit salon, c’est à ce soir-là qu’il pensait, en contemplant la taille élégante de Simone qu’une dernière lueur de jour, en se jouant dans la dentelle des rideaux, éclairait par derrière.

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