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le débutant

la morale ne saurait en être offensée. Même, si cette femme découvre d’autres appâts, pourvu que ce soit toujours en anglais, qui oserait prétendre que sa pudeur en a été troublée ?

— Que vous êtes amusant !

— Et la langue de Shakespeare est toujours chaste pour ceux qui ne la comprennent pas.

— Et pour ceux qui la comprennent ?

— Ils n’ont qu’à avoir l’air de ne pas comprendre… Maintenant, si vous voulez que je vous parle plus sérieusement, je vous dirai que l’on redoute l’influence du théâtre français, non à cause de sa prétendue immoralité, — ce qui n’est qu’un prétexte, — mais, parce que dans les œuvres modernes, on étudie les différents problèmes sociaux dont la solution préoccupe les esprits humanitaires, parce qu’on y discute, même librement, des questions scientifiques. Ce sont des pièces trop savantes pour être orthodoxes, trop inspirées par l’esprit de justice et de liberté pour ne pas être dangereuses. Si on laissait le Théâtre Moderne faire à sa guise, empoisonner l’âme de ces bons canadiens en les habituant, peu à peu, à penser, à raisonner quand on veut leur faire entendre que deux et deux font cinq, mais ce serait une véritable révolution dans toute la province de Québec. Et le mouton ne voulant plus se laisser tondre, que deviendrait le berger ? … Non, il vaut mieux, pour ceux qui s’engraissent de l’état de choses actuel, encourager les cirques, les danseurs nègres, les mélodrames stupides, en un mot tout ce qui abrutit le peuple, le maintient dans cet état de béate ignorance indispensable à l’asservissement complet du troupeau malheureux, mais résigné.

— Taisez-vous ! si on vous entendait, je serais à jamais compromise.

— Pourquoi donc ?

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