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le débutant

— Alors, la pétite veuve n’a qu’à se bien tenir.

C’est une vantardise de l’honorable député. Madame Laperle n’en voudrait même pas pour délacer ses bottines, encore moins son corset.

Qu’est-ce donc que cette madame Laperle ?

— La femme voilée de l’Extravaganza, qui t’intrigua si fort et dont je t’ai dit tant de bien.

— Tant de bien que je désire la connaître.

— Si ce n’est pas dans le sens biblique, ton désir sera satisfait. Tu la connaîtras lundi soir, au Théâtre Moderne, où tu seras mon invité. Quand tu auras vu ce théâtre et madame Laperle, il ne te restera plus rien à désirer, puisque le Parc Dominion, le Parc Sohmer, que nous avons fréquenté l’été dernier, plus récemment l’Extravagansa, puis le Théâtre Populaire, d’où nous sortons, t’ont livré leurs secrets.

Les deux amis, remontant vers l’ouest de la rue Sainte-Catherine, étaient arrivés devant le café Picon, et Jacques Vaillant proposa à son compagnon d’entrer prendre un verre de bière. Ils pénétrèrent dans l’établissement, fréquenté à cette heure par les actrices des théâtres avoisinants, soupant en cabinet particulier. À l’étage au-dessus, on entendait le rire énervé des femmes. Les deux journalistes, n’ayant pas l’intention de souper, s’approchèrent du bar et se firent servir deux verres de pale ale. Pendant qu’ils absorbaient, à petites gorgées, la bière blonde, une voix enrouée d’ivrogne prononça derrière eux :

— Ça va bien, les confrères ?

Ils se retournèrent et aperçurent titubant, tout débraillé, le chapeau par terre, Solyme Lafarce. Il leur raconta une histoire lamentable : un enfant était tombé sous un tramway qui l’avait mis en hachis. C’était horrible à voir ! Et pour se remettre de l’impression pénible éprouvée à la vue de ces chairs sanguinolentes,

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