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le débutant

faisance, s’ils vont à la messe tous les dimanches et se laissent élire marguilliers. Nous avons eu le spectacle d’hommes politiques posant à toutes les vertus quand ils avaient tous les vices, invoquant le ciel à tout propos quand ils n’y croyaient plus, léchant les crosses épiscopales qui menaçaient de leur casser les reins, par opportunisme et lâcheté, abandonnant ceux qui les avaient aidés à arriver aux honneurs pour favoriser ensuite, leurs pires ennemis. Nous en sommes rendus à ce degré d’abrutissement et de fanatisme qu’un honnête homme exprimant franchement son opinion, si cette opinion n’est pas conforme aux enseignements reçus et acceptés, risque de compromettre gravement son avenir, heureux encore si on ne lui enlève pas le pain de sa famille, si on ne l’accuse pas des pires infamies. Tu te rappelles qu’au collège de Saint-Innocent on nous représentait les Anglais et les Yankees comme des espèces de barbares s’enrichissant par le vol, n’ayant ni conscience ni moralité. Eh ! bien, on nous trompait comme on trompe ce bon peuple depuis si longtemps pour le mieux exploiter. Nos compatriotes anglais, et particulièrement nos voisins des États-Unis, doivent leur richesse à leur esprit d’entreprise : ils sont plus avancés que nous parce qu’ils reçoivent une éducation progressiste, parce qu’ils ne repoussent et n’ignorent aucun progrès, parce qu’ils ne dédaignent aucun moyen d’améliorer leur état social. Mon père est dans ces idées-là, il aime le progrès, tôt ou tard ça lui jouera quelque mauvais tour.

Jacques Vaillant fit une pause et s’apercevant que son ami ne l’écoutait plus, croyant peut-être, dans sa hantise de là-bas, entendre le chant de quelque rustique amoureux revenant à la maison, la journée

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