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le débutant

des reproches immérités. Il aurait pu prendre son chapeau et s’en aller ; mais, il songea à sa femme, à ses petits qui pourraient souffrir de sa révolte orgueilleuse, et dans l’incertitude où il était de pouvoir trouver un emploi immédiat ailleurs, il s’oublia, s’effaça dans l’impersonnalité de la rédaction du Populiste. Quant au reporter du sport, André Pichette, c’était un bon diable, très serviable, d’une force peu commune. Pour se mettre, bien avec lui, on n’avait qu’à admirer le développement prodigieux de sa poitrine, à double ossature, comme il le prétendait, semblable à une coque de navire blindé ; ou bien avoir l’air de redouter la puissance de son poing mortel, capable d’assommer un bœuf d’un seul coup. Il jouissait de la plus grande liberté au journal, où il n’apparaissait que le matin quand il était en ville, passant le reste de son temps aux courses de Blue Bonnets ou du parc Delorimier, au terrain des Shamrocks ou des Montréal, aux régates organisées par les associations de canotage, l’hiver, suivant les matchs de hockey, les clubs de raquettes. D’Antoine Débouté, le reporter du Palais, il y avait peu de chose à dire : c’était un esprit juridique dans un corps sujet à la dysenterie, quand on voulait lui imposer un surcroît de travail. Les quelques autres jeunes reporters qui complétaient le personnel de la rédaction, ne faisaient souvent qu’y passer ; c’étaient presque toujours des étudiants que l’on rétribuait à peine. Les uns disparaissaient d’eux-mêmes, ayant découvert quelque moyen plus avantageux de se procurer de la monnaie de poche, les autres étaient congédiés au bout d’une semaine ou deux, pour être arrivés trop tard le matin, pour un oui, pour un non, et remplacés au petit bonheur par le premier qui se présentait.

Jacques Vaillant, après avoir passé en revue tous

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