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le débutant


Ton sort est le plus beau,
Le plus digne d’envie.

— Au fait, tu n’es pas une Enfant de Marie, mais cet air de cantique me revient à chaque printemps, avec l’obsession du parfum des lilas que nous respirions en rôdant autour du couvent de Saint-Innocent, si près du collège où nous avons fait nos humanités.

— Quel homme est-ce, au fond, que ce Jean-Baptiste Latrimouille ?

— Ce n’est pas un homme, c’est une machine. Car, ce que j’appelle un homme, moi, c’est un être qui pense, qui raisonne, qui est susceptible de prendre une résolution tout seul, qui ne marche pas seulement quand on lui dit de marcher. Or, notre charmant city editor est tout le contraire de cela. Il est, du reste, the right man in the right place, pour employer l’expression d’une plantureuse écossaise très éprise de la vigueur athlétique de son amoureux, l’un des vainqueurs du championnat de base-ball, de la dernière saison. L’administration du journal lui indique la ligne de conduite à suivre, s’en fait son exécuteur des hautes œuvres quand il s’agit de faire tomber des têtes parmi le personnel de la rédaction, et dégage sa responsabilité de toutes les erreurs et sottises qui s’impriment dans le Populiste, en les mettant sur le compte de cet instrument docile, incapable de regimber. On lui ordonne de faire une chose, il la fait, et si ça tourne mal, on l’accuse d’abus de confiance, d’imbécilité, et, au besoin, de tous les crimes d’Israël. Il accepte tout, courbe la tête ; il s’accuserait lui-même, si cela était nécessaire. Ses maîtres auraient honte de traiter de braves garçons instruits, intelligents, comme il les traite ; mais Latrimouille n’a aucun respect pour l’intelligence et l’instruction, en étant dépourvu lui-même, et ne s’en portant pas plus mal. La supé-

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