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le débutant

du journal, encore tout humide, qu’on venait de distribuer et entraîna rapidement son ami en lui disant à mi voix :

— Filons tout de suite avant que ce chameau de city editor ne remonte de l’imprimerie.

Quand ils furent dans la rue, Paul Mirot lui demanda la raison de cette fuite précipitée et Jacques, tout joyeux de pouvoir disposer de son temps et jouir de sa liberté jusqu’au lendemain, lui répondit :

— C’est vrai, tu ne sais pas ce que cet animal de city editor est embêtant. Chaque jour, après le journal, il distribue les corvées du soir aux reporters. On dirait qu’il n’est satisfait que lorsqu’il y en a pour tout le monde, je crois qu’il en inventerait au besoin. Ce sont des assemblées de conseils municipaux de banlieue, des réunions de clubs politiques, des séances de commissions de toutes sortes siégeant le soir, des associations de bouchers, d’épiciers se réunissant pour parler cochon ou fromage, des concerts de charité, où le journal doit être représenté sous peine d’encourir la disgrâce d’un tas d’abrutis rasant quelquefois jusqu’à minuit le pauvre reporter obligé, le lendemain, de faire l’éloge de celui-ci et de celui-là, qui n’ont rien dit de nouveau ni d’intéressant. Le plus souvent possible, je me trotte avant la distribution, excepté le lundi, jour où on nous gratifie de billets de théâtre. Je sais que le nommé Jean-Baptiste Latrimouille m’en garde une sourde rancune, qu’il essaiera d’épancher à la première occasion. Mais je m’en moque.

Un drôle de nom, tout de même, que celui de Latrimouille.

— Si le nom est drôle, le personnage ne l’est pas. Pour le moment, tu n’as rien à faire avec lui.

Et il fredonna :

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