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le débutant

Vaillant ajouta, en lui frappant amicalement sur l’épaule :

— Il ne faut pas te croire un imbécile parce que ce fumiste de Lafarce t’a monté le coup. Des plus malins que toi se sont laissé prendre à ses discours trompeurs, et dans des circonstances autrement comiques. Dans une grande ville, vois-tu, il faut se méfier de tous les gens qu’on ne connaît pas et surtout des personnes qui se montrent par trop accueillantes. De même que l’on doit fuir la première Vénus du trottoir qui s’offre aux convoitises masculines, il est bon de se garer des malandrins de la rue, des bars et des cafés louches.

Leur conversation fut interrompue par l’arrivée de Marcel Lebon qui présenta le nouveau venu au secrétaire de la rédaction, à qui incombait la tâche d’initier le jeune homme au travail de bureau avant de le mettre à la disposition du chef des reporters, commandant à une quinzaine de chasseurs de nouvelles, fort malmenés lorsqu’ils revenaient bredouille. L’omnipotent personnage, qui répondait au nom gracieux de Blaise Pistache, n’était pas un aigle, mais sa nullité n’avait d’égale que sa prétention. L’un de ses frères était marchand de vins et d’alcools, il payait au journal, bon an mal an, des milliers de dollars pour ses annonces de champagne extra dry, de Scotch, Whisky, de gin et de toutes sortes d’enivrants poisons ; l’autre était jésuite, d’une telle réputation de sainteté et d’éloquence, que les foules accouraient pour l’entendre fulminer contre l’ivrognerie, la débauche, les idées nouvelles et toutes les turpitudes du siècle ; ou reproduisait ses sermons en entier dans le Populiste. C’était à cette double influence du marchand de vins et du jésuite, que Blaise Pistache devait son importante et lucrative situation. Il se montra fort aimable avec

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