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le débutant

dernier vestige de nos mœurs patriarcales. Quant à la malheureuse qu’on a arrêtée après son crime, que bien des gens trouveront excusable, j’ai recueilli les témoignages les plus touchants en sa faveur : elle communie tous les premiers vendredis du mois, elle est d’une vertu inattaquable, et l’on prétend que c’est surtout à cause de la rigidité de ses principes qu’elle a pris ce moyen radical pour mettre fin aux infidélités de son mari.

Paul Mirot s’était levé, mais Solyme Lafarce le retint encore un instant en lui posant, d’un geste sympathique, la main sur le bras :

— Ce que je vous plains, petits commis mal payés, enfouis du matin au soir dans vos ballots de cotonnade, faisant l’article, la bouche en cœur, aux clientes qui daignent à peine vous regarder…

— Mais…

— Oh ! ne protestez pas. J’ai un cousin dans le métier, il crève de dépit quand je l’entretiens de mes succès dans le monde. Comment avez-vous pu, joli garçon comme vous êtes, songer à faire du commerce ?

— Mais, vous vous trompez, je ne suis pas commis de magasin. Je n’ai même rien commis du tout.

— Bravo ! Vous avez presque autant d’esprit que moi. J’aurais grand plaisir à vous appeler confrère.

— Eh ! bien, ne vous gênez pas, j’entre demain au Populiste.

Le sort en était jeté, il avait dit le mot qui le liait dans son esprit. Il en éprouva un grand soulagement. Dans sa joie de se sentir allégé du fardeau de l’indécision, il offrit un petit verre de quelque chose au confrère ; ce dernier accepta après s’être fait un peu tirer l’oreille, comme si ça n’avait pas été dans ses habitudes d’escamoter ainsi des consommations en affichant son titre de reporter à L’Éteignoir.

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