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le débutant

che provocante. Du reste, ce n’était pas le moment pour lui de chercher une âme sympathique et féminine, dans cette multitude de figures inconnues. Son ami Jacques lui expliquerait, le conseillerait.

Un besoin impérieux réclama toute son attention : il avait faim.

Dans un petit restaurant à quinze sous, il s’attabla devant un potage d’origine douteuse, suivi d’un plat de viande dont il n’aurait pu dire le nom, et s’emplit tant bien que mal l’estomac, en attendant mieux. Retournerait-il la campagne le jour même ? Marcel Lebon le lui avait conseillé, mais il ignorait la monotonie de son existence, là-bas, entre la tante Zoé, à la piété ignorante, et l’oncle Batèche, revenant toujours à son idée de la culture de la betterave qui enrichirait toute la paroisse, si le conseil municipal voulait s’en mêler. Et puis, c’était lâche de se rendre avant d’avoir combattu, pour un soldat de la pensée, peut-être encore plus que pour celui que l’on pousse en avant, sous les balles et la mitraille, quand il ne sait pas au juste pour qui ou pour quoi il va se battre et se faire tuer. Et que penserait de lui son ami Jacques, et le député Vaillant qui l’avait si chaleureusement recommandé ? C’était là le problème difficile s’imposant à son esprit depuis son entrevue avec le directeur du Populiste. Il en était à l’affreux pudding au raisin et n’avait encore rien décidé.

Le hasard vint à son secours.

Un grand jeune homme, vêtu d’un pantalon de flanelle et d’un veston noir, un faux panama à la main, vint s’asseoir, sans cérémonie, au bout de la table où Paul Mirot achevait son triste repas. On était en mai et la température, plutôt fraîche, n’autorisait pas encore une semblable tenue. Ça devait être un fameux original que cet individu ? À peine assis, son panama

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