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le débutant

roisse de Mamelmont, la paroisse la plus libérale du comté de Bellemarie. Vous avez du talent, c’est tout naturel qu’il vous pousse dans les journaux, votre reconnaissance pourra lui être utile un jour ou l’autre. Moi, je vous parle en homme d’expérience et avec le plus parfait désintéressement. Vous arrivez de la campagne, vous ne savez pas ce que c’est que la vie fiévreuse et ingrate qui vous attend ici. Quand je suis entré à ce journal, j’étais jeune comme vous, le cœur débordant d’enthousiasme, comme vous, je me voyais déjà sacré grand homme, dominant l’univers, en livrant ma pensée à la vénération des foules. Il y a vingt ans que je suis dans le journalisme et il ne m’a pas encore été permis de dire ce que je pense. J’écris pour Troussebelle, j’écris pour Vaillant, j’écris pour Boissec, qui me paie de plantureux dîners au Club Canadien, ou ailleurs, et s’imagine, l’imbécile, que cela fait mon bonheur ; j’écris même pour de petites dames qui ont leurs influences et en profitent pour venir me montrer leur… état d’âme. J’avoue que c’est quelquefois le côté le plus intéressant du métier. Pour moi-même, je n’ai jamais rien écrit ; mes convictions, je les cache précieusement ; la Vérité, je l’entortille n’importe comment avec ce qu’on me donne ; je blanchis les noirs et je noircis les blancs, sur commande.

— Pas possible !

— Ça vous étonne, jeune homme, et pourtant vous ne connaissez encore rien des petites misères du métier. Je vous réserve le plaisir d’en faire vous-même la découverte, si vous persévérez dans votre résolution. J’ajouterai seulement, pour refroidir tant soit peu votre bel enthousiasme, que nos grands journaux ne sont pas faits pour instruire le peuple par la libre discussion des questions politiques, scientifiques, so-

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