Page:Bessette - Le débutant, 1914.djvu/33

Cette page a été validée par deux contributeurs.
le débutant

de taille à bouleverser le monde par l’éclat de son génie. Mais, voilà, il était trop tard, il ne fallait pas y songer.

En l’écoutant, Marcel Lebon souriait dédaigneusement, et quand il eut fini sa tirade, le directeur du Populiste se contenta de murmurer entre ses dents :

— Farceur, va !

Le soir arriva et le père Gustin, avec sa jument grise, vint chercher les voyageurs qui devaient retourner à Montréal par le train de sept heures. Selon l’expression de Jacques Vaillant, « l’affaire était bâclée » et ce dernier, en prenant congé de Paul Mirot, ne lui dit pas au revoir, mais à bientôt.

L’oncle Batèche était content de sa journée, la tante Zoé, ravie : cette dernière parce que ces beaux messieurs l’avaient comblée de politesse, comme si elle eut été la femme du bailli de la paroisse, qu’elle jalousait quand elle la voyait se prélasser dans le plus beau banc, à l’église ; et son digne époux, parce que le financier Boissec lui avait glissé dans la main en partant, un billet de dix dollars, sans compter l’honneur d’avoir reçu son député, en ami.

Mais le plus heureux des trois était assurément Paul Mirot, qui avait enfin trouvé sa voie et se demandait, avec étonnement, comment il se faisait qu’il n’y avait pas songé plus tôt. Quand on a la passion de lire comme il l’avait, comment ne pas avoir en même temps la passion d’écrire ? Et cette passion ne se satisfait pas secrètement, comme une passion honteuse, inavouable. Non, il faut qu’elle se développe en plein jour, qu’on en fasse part à des milliers d’individus, et par le journal et par le livre.

Il assista, indifférent, aux propos échangés par l’oncle Batèche et la tante, sur leurs visiteurs ; son esprit était déjà loin. Comme un jeune marié impatient d’em-

33