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le débutant

robes blanches des femmes. Il y avait là toute une joyeuse jeunesse, venue à la rencontre de quelques amis, qui, tantôt, irait valser au Yacht Club dont on apercevait la façade illuminée, sur le bord de la rivière, entre les arbres du parc public, voisin de l’école militaire. Cette petite ville où il n’était jamais venu, avait l’air d’un immense bosquet mystérieux, troué seulement par des clochers d’églises et quelques cheminées d’usines, qui, seuls enlevaient l’illusion que ce ne fut un véritable paradis terrestre. Le train reparti, le jeune homme ne vit plus rien. La nuit avait noyé toutes choses dans ses ombres indécises. Et ce fut à ce moment-là qu’il se sentit vraiment seul et malheureux plus que jamais. Sous l’étreinte de la douleur, il eut conscience qu’un homme nouveau allait naître en lui. Il s’en épouvanta, La jeune mère sentant ses entrailles se tordre dans les souffrances de l’enfantement doit éprouver une angoisse pareille. Cet enfant qu’elle va mettre au monde et à qui elle a attribué d’avance toutes les qualités, pourrait être, par un caprice de la nature, bossu, boiteux, ou bien idiot, méchant. Elle a rêvé pour lui une brillante destinée ; qui sait ce que la vie lui réserve ? À cet autre lui-même qu’adviendrait-il ? se demandait Mirot. Serait-il un rêveur, un utopiste, ou bien un de ces hommes se marchant sur le cœur et pesant leurs actions au poids de l’or, bref, un homme pratique, réfractaire à tout sentiment généreux ? Celui-là, qui n’aurait pas connu Simone, aimerait-il une autre femme, fonderait-il un foyer au pays qui vit naître George Washington et Edgar Poe ?

Et pourtant, plus que jamais, à cette heure, il le chérissait ce passé plein de rêves, d’espoirs trompeurs, d’élans enthousiastes, de baisers gourmands, de larmes et de souffrances aussi. C’est que toutes ces émotions juvéniles, toute cette sensibilité vibrante qui

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