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le débutant

vers sa victime agonisante. Il se baissa pour la saisir, mais battant des ailes la perdrix lui échappa en lui laissant des plumes sanglantes aux doigts, et, s’élevant péniblement de quelques pieds au-dessus du sol, alla retomber un peu plus loin. Le soleil était disparu derrière la montagne, là-bas ; il ne restait plus que de vagues lueurs de jour pour éclairer les tiges d’avoine coupées sur lesquelles l’oiseau gracieux criblé de plomb, par soubresauts, les plumes hérissées, les pattes en l’air, faisait ses dernières résistances. Impressionné malgré lui, le chasseur s’approcha, se pencha sur le gibier agonisant, et il lui sembla que les yeux vitreux de la bête innocente se fixaient sur lui, cependant que dans le calme de la nuit tombante l’écho lui apportait le glas des trépassés, du clocher du village de Mamelmont. La perdrix ne remuait plus, elle était morte, et il restait là, sans oser lui toucher, fasciné par la fixité de ces yeux toujours ouverts. Les ténèbres envahirent la plaine. Alors il se décida à mettre le gibier dans son sac pour rentrer à la maison.

Tout en poursuivant péniblement son chemin à travers les prés coupés et les guérets, une pensée l’obséda. Il se posa à lui-même cette question :

— On prétend que l’œuvre de la création est parfaite, alors pourquoi faut-il tuer pour vivre ?

Sans découvrir la solution qu’il cherchait, il se convainquit que, du moins, on ne devait pas tuer par plaisir, et de ce jour, il renonça aux jouissances que lui procuraient la chasse.

L’hiver canadien n’est pas sans charmes. Ces plaines blanches au clair de lune, ces arbres chargés de verglas que le soleil fait resplendir le matin, enchantent le voyageur qui, pour la première fois, jouit de ce spectacle. Mais à la campagne, durant les longs mois de la saison rigoureuse, toute vie, toute acti-

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