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le débutant

et la tante Zoé le prit dans ses bras pour le bercer.

Ce retour au foyer, par une belle nuit de fin de juin, pleine d’étoiles, Paul Mirot ne devait jamais l’oublier. Plus tard, lorsque devenu homme, il apprendrait à ses dépens combien il est difficile de faire triompher des opinions qui ne sont pas celles de tout le monde, tout en gagnant son pain quotidien, toujours lui reviendrait à l’esprit cette escapade d’enfant obéissant à l’instinct de liberté, le souvenir de son isolement pitoyable, de la faim qui lui tortura les entrailles, du grand calme de la nature en face de son désespoir, de sa course dans la nuit vers la petite lumière, là-bas, sur cette terre féconde et humide de rosée à laquelle l’oncle Batèche ne demandait qu’une forte production de betteraves, tout en cultivant autre chose.

Il ne devait pas oublier, non plus, cet orphelin privé dès l’âge le plus tendre des soins maternels, la pitié passagère de tante Zoé, pour sa détresse, et son réveil dans les bras de cette femme, dont la maigreur paraissait se gonfler quelque peu, s’animer enfin, au contact de la tête blonde de l’enfant qui reposait sur son ingrate poitrine.

Ce souvenir devait l’empêcher, plus tard, de maudire son semblable, injuste et méchant à son égard, en lui faisant comprendre que chez tout être humain réside une bonté native et secrète étouffée souvent par l’ignorance, le préjugé, le fanatisme de certaine éducation, l’intérêt mesquin et rapace, et qu’il ne s’agirait que de réformer l’état social, d’éclairer les hommes pour les rendre meilleurs.

Les jours qui suivirent se passèrent sans incident remarquable pour Paul Mirot. L’oncle et la tante Batèche le laissèrent jouer et courir à sa guise dans les champs. Le poulain de la jument breune ne lui fut pas enlevé. Jusque vers le mois de septembre, il ne fut

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