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le débutant

La soirée, qui fut plutôt triste, se termina par la lecture des journaux. Les nouvelles de la division Saint-Jean-Baptiste, la plus arriérée de Montréal, étaient mauvaises. Le notaire Pardevant communiait tous les matins, et le public se rassemblait devant la porte de l’église pour le voir sortir, son livre de messe à la main. Il avait acquis une grande réputation de sainteté. Sa photographie, qu’il distribuait dans les familles, était placée entre les statues de Saint-Joseph et de la Vierge Marie. Et partout où son adversaire, Marcel Lebon, se montrait, les jeunes Paladins de la Province de Québec, fidèles à leur mission de tout régénérer dans le Christ, par la calomnie et la violence, l’accablaient d’injures, le traitaient de mangeur de prêtres, l’accusaient d’être l’instrument de Vaillant le renégat. Et ceux-là même qui répudiaient ces procédés malhonnêtes, qui ne croyaient pas un mot des accusations portées contre lui, hurlaient avec les autres pour ne pas être remarqués, de crainte de s’attirer des ennuis. L’épicier tenait à vendre son fromage moisi, le marchand de nouveautés à trouver des acheteuses pour ses corsets doublés de satin, ses bas ajourés et ses pantalons à garnitures de dentelles ; et, ainsi de suite, jusqu’au médecin du quartier qui se plongeait prudemment dans l’étude d’ouvrages de pathologie qu’il n’avait pas consultés depuis des années.

Quant au mutualiste Charbonneau, dans la division Sainte-Cunégonde, il fouaillait d’importance Prudent Poirier, dévoilant au grand jour tous les méfaits de l’industriel vert-galant. Devant des auditoires ouvriers, il démontrait que cet homme n’était qu’un vil exploiteur de la misère humaine, encaissant des bénéfices exorbitants et payant des salaires de famine à ses employés. Il l’accusait, partout d’avoir, à la suggestion de Troussebelle, voté contre l’intérêt de la

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