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le débutant

Sans se déconcerter, tellement il en avait l’habitude, Montretout répliqua :

Oui, messieurs, je suis cocu, et je le sais depuis longtemps. La différence qu’il y a entre moi et ceux qui crient si fort, c’est qu’ils le sont, eux aussi, et ne le savent pas.

Pendant l’altercation qui s’en suivit, Solyme Lafarce, rédigeant ses notes sur l’estrade des orateurs, s’éclipsa.

Lorsque le calme se fut rétabli, l’honorable Vaillant voulut qualifier comme elle le méritait la conduite du docteur Montretout. Mais juste à ce moment, on vit s’avancer, en face de l’estrade, un cultivateur tenant en laisse un veau du printemps sur le dos duquel on avait écrit au pinceau trempé de goudron : Vaillant traître à sa race. La foule stupide et méchante à ses heures, surtout lorsqu’on exploite grossièrement ses préjugés, éclata en bravos. Le grand tribun populaire, l’homme qui avait sacrifié ses plus chers intérêts pour travailler au développement intellectuel de ses compatriotes et améliorer leur condition matérielle, pâlit sous l’insulte et se roidissant contre le dégoût qui lui montait aux lèvres, essaya de parler. Ce fut en vain. À chaque fois qu’il ouvrait la bouche, quelqu’un tirait la queue du veau qui se mettait à braire lamentablement. À la fin, des protestations s’élevèrent, des coups de poings s’échangèrent autour du veau et une mêlée générale s’ensuivit. Solyme Lafarce remontait sur l’estrade, radieux, pour jouir du spectacle qu’il avait sournoisement préparé, quand il se trouva face à face avec

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