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le débutant

— leur amour de Dieu avec l’amour humain, c’est-à-dire que sa main droite, toujours levée vers le ciel, s’efforçait d’ignorer ce que faisait sa main gauche, abaissée derrière son dos et recevant des gratifications pour ses complaisances. Or, une puissante compagnie de Montréal avait chargé l’honorable Troussebelle, non sans lui avoir mis quelque chose dans la main gauche, de combattre devant la législature un projet de loi présenté par une compagnie rivale pour obtenir certains privilèges, établissant ainsi une concurrence équitable dont le public, en général, et la classe ouvrière, en particulier, devaient profiter. Prudent Poirier, car c’est encore du député de Sainte-Cunégonde qu’il s’agit, quand le projet de loi vint devant la Chambre, ne prêta qu’une attention fort distraite au débat qui s’en suivit, n’y comprenant rien du tout. Ce n’est que lorsque le ministre vendu s’écria, avec un beau geste, d’indignation : « C’est une épée de Damoclès que l’on veut suspendre au-dessus de nos têtes », que le Poirier fut brusquement secoué de sa somnolence habituelle. Le sentiment de la conservation lui donna du courage, et regardant les statues symboliques dominant l’enceinte parlementaire, il dit, d’une voix mal assurée : « Monsieur le ministre a raison, il ne faut pas donner d’épée aux dames en glaise suspendues sur nos têtes. » Ce fut un succès, toute la chambre éclata de rire. Mais Prudent Poirier, représentant une division essentiellement ouvrière, vota contre l’intérêt de ses électeurs.

De tous côtés, on cria : Hourrah pour la dame en glaise ! — Hourrah pour le p’tit Mirot ! — Hourrah pour notre député !

L’honorable Troussebelle s’était réservé dix minutes de réplique, mais il lui fut impossible de se faire entendre. On l’appela vendu et il dut se retirer

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