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le débutant

du comté, dont il avait fréquenté la basse-cour, pour en acheter poules, poulets et dindons. Retiré du commerce, on le disait riche et, bien entendu, de bon conseil. On venait, de très loin lui emprunter de l’argent, à un taux d’intérêt assez élevé, ou le consulter sur la meilleure manière de faire couver les canards. Et ce n’était pas un monsieur de la ville, mais un homme sans prétention, vivant au milieu des citoyens de Bellemarie. Cette dernière considération ralliait beaucoup d’indifférents et d’indécis à la candidature du Père Boniface, comme tout le monde l’appelait depuis qu’il exhortait hommes, femmes et enfants qui l’approchaient à faire pénitence afin de se préserver du feu de l’enfer.

Les fidèles partisans de l’ancien ministre des Terres de la Couronne répétaient, à tous ceux qui voulaient les entendre, que le bonhomme Sarrasin devait redouter lui-même d’être rôti par le diable dans l’autre monde, puisqu’il avait toujours cette idée en tête. Il ne s’était peut-être pas enrichi avec des indulgences ? C’est si facile, pour un commerçant, de ramasser, à la nuit tombante, les volailles qui s’égarent loin du poulailler. Et les renards ont le dos large. Du reste, personne n’ignorait qu’à la suite d’une retraite précitée à Saint-Innocent, par les Pères du Rédempteur, qui avaient fait trembler les plus vertueux des fidèles en les plongeant et replongeant dans l’enfer pour la moindre peccadille, Boniface Sarrasin avait perdu la raison, qu’il avait voulu jeûner pendant quarante jours, enfermé dans une chambre aux murs nus et sans lit, qu’il prenait pour le désert. On répétait que le curé de la paroisse était parvenu à le guérir de sa folie en lui faisant porter sur la poitrine un morceau du bois de la croix et en célébrant, durant plu-

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