Page:Bessette - Le débutant, 1914.djvu/115

Cette page a été validée par deux contributeurs.
le débutant

— Et si je vous repoussais ?

— En supposant que vous m’aimeriez ?

— On peut aimer sans se donner.

— C’est mal, madame, quand on est belle, de ne faire le bonheur de personne.

— Vous croyez ?

— J’en suis sûre.

— Vous avez peut-être raison.

— Moi, à votre place, je me marierais.

— C’est une idée, cela.

— À votre âge, gentille comme vous êtes, vous ne pouvez rester longtemps seule sans vous exposer à perdre la tête, un de ces jours.

— Je n’ai qu’à fuir le danger.

— Le danger vient sans qu’on le voie.

— Où avez-vous pris toutes ces belles maximes ?

— Dans notre métier, on apprend bien des choses. J’en sais des histoires sur certaines dames, madame Montretout, entre autres, à qui on donnerait le bon Dieu sans confession.

— Et vous, votre vertu n’a jamais été en péril ?

— Jamais. J’ai assez de mon mari. Mais si j’avais le malheur de le perdre, mon gros Dieudonné Moquin, je me hâterais d’en prendre un autre, gras ou maigre. Je ne pourrais pas supporter le veuvage.

— J’admire autant votre prudence que votre franchise.

— Je suis amoureuse, moi, mais pas coquette. Je n’avais que seize ans lorsque mon cousin, Baptiste Boitras, se noya dans la rivière Sainte-Rose, par amour pour une jeune fille qui lui en avait fait accraire, comme on dit à la campagne. Ce malheur m’a fait réfléchir et j’ai compris que celle qui allume l’incendie doit l’éteindre ensuite. C’est pour cela que je ne me laisse jamais faire la cour. Je ne pourrais, sans

115