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le débutant

rance et la sottise. Je vois que pour réussir, il me faudra faire comme les autres, dissimuler ma pensée, emprisonner ma franchise, faire ma cour aux nullités et aux petits potentats, en un mot, ménager la chèvre et le chou, jusqu’au jour — et ce jour viendra-t-il jamais ? — où je me serai créé une situation indépendante, qui me permettra de me livrer à quelque travail utile. En attendant, on me conseille la politique, comme moyen d’action ; je crois que c’est ce que j’ai de mieux à faire, pour le moment.

— Mon pauvre ami !

C’était la première fois qu’il se livrait ainsi tout entier, qu’il lui montrait son âme à nu, elle en éprouva une joie intense. C’était un homme nouveau que ses yeux contemplaient avec extase, un homme qu’elle ne connaissait que depuis cinq minutes. Une grande résolution, un généreux vouloir germa, soudain, dans son esprit : pour que ce jeune homme enthousiaste puisse réaliser son rêve, il lui fallait le dévouement d’une femme, et elle était prête à se consacrer toute entière à la tâche de le soutenir, de le rendre heureux, et, partant, victorieux. Elle lui dit, de cette voix grave que l’on prend pour prononcer des mots définitifs :

— Veux-tu m’associer à ta grande entreprise ?

— Si je veux !

— Je te consolerai aux heures de défaillance morale ; je mettrai à ton service toutes les ressources de mon intelligence féminine ; tu puiseras sans réserve dans mon amour, la force nécessaire pour arriver au succès. En retour, je ne te demanderai de m’aimer quelques années encore, car, bientôt tu t’en iras de moi, jeunesse, comme dit avec un si touchant regret, un poète féminin. Alors, je mettrai tout mon bonheur à me rappeler que tes succès sont aussi un peu les miens.

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