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le débutant

rables, cependant, le vieux Troussebelle paraissait en humeur de ne rien pouvoir me refuser. Je crois qu’il m’a fait un peu la cour… Tu n’es pas jaloux ?

— Affreusement jaloux ! J’en deviens cannibale.

Et il l’embrassa à pleines lèvres, goulûment.

Elle se laissa dévorer ainsi pendant quelques instants, puis, redevint sérieuse.

— Maintenant, parlons de ton avenir. Que comptes-tu faire ?

Il répondit :

— J’avais rêvé d’écrire de beaux livres, de faire au moins une œuvre dans laquelle je mettrais, à la fois, tous les enthousiasmes et toutes les désillusions qui font déborder ou languir mon âme, toutes les souffrances et toutes les joies qui ont fait battre mon cœur, depuis que je le sens s’émouvoir dans ma poitrine. La nature m’a fait vibrant comme l’airain d’une cloche : longtemps et profondément en moi résonne le coup qui me frappe, pour l’allégresse ou pour la douleur. À l’école, j’ai connu les brutalités de mes compagnons de jeu ; au collège, j’ai vu l’injustice s’afficher sous des dehors respectables, l’hypocrisie cultivée avec un art consommé par les petits hommes qui se préparaient à devenir la classe dirigeante. Tout cela m’a fait mal. Le goût du travail, la volonté de m’instruire, afin d’être bien armé pour les luttes de la vie, que, d’instinct, je sentais traîtresse et dures, m’ont fait accepter bien des choses. Je voulais être utile à mes compatriotes, je croyais que le journalisme m’en fournirait les moyens. Dans les journaux, hélas ! c’est encore pis qu’au collège. Je croyais naïvement, que le journal était fait pour répandre la vérité, pour éclairer le lecteur ; je m’aperçois qu’on y exploite la sottise, qu’on y flatte les préjugés, bref, qu’on s’ingénue à faire en sorte de maintenir le peuple dans l’igno-

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